COVID 19 : la tentation du communisme sanitaire

Cela n’a échappé à personne, la pandémie du désormais célébrissime Coronavirus n'aura pas fait que des victimes humaines mais aussi juridiques, en particulier les droits fondamentaux tels la liberté circulation ou de rassemblement - ce qui n'offense pas à priori la logique  - mais aussi et c'est plus surprenant, la liberté du commerce et de l'industrie ou le droit de propriété et maintenant de la vie privée avec le levé du secret médical.

Encore plus étonnant, la liberté d'expression, sans être menacée, semble tout de même gênante, tant le gouvernement fait preuve de susceptibilité.

Le 28 avril 2020, le Premier Ministre a répondu aux critiques devant l'Assemblée nationale en critiquant à son tour le fait que les citoyens et élus, en ce compris les députés, osent critiquer le gouvernement.

A propos de ceux qui, dans les rangs de l'Assemblée, ont déprécié sa manière de gérer la crise, il déclare que "la modernité les a souvent fait passé du café du commerce à certains plateaux de télévision, les courbes d’audience y gagnent ce que la convivialité des bistrots y perd. Je ne crois pas que cela grandisse le débat public », pour conclure par une thèse expresse et audacieuse de droit constitutionnel selon laquelle "Non, les députés ne commentent pas, ils votent. Et ce faisant, ils prennent des positions politiques".

A ce propos, il convient de répondre.

Le gouvernement est le serviteur de la Nation et non son souverain

La Constitution de la Ve République, en son article 24 dispose, certes, que "le Parlement vote la loi" mais aussi qu'il "contrôle l’action du Gouvernement" et qu'il "évalue les politiques publiques". Or, ces deux derniers rôles impliquent sauf erreur, qu'il leur soit accordé le droit de discuter de cette action et de ces politiques publiques.

Plus largement, la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, qui est partie intégrante de la Constitution, rappelons-le, dispose-t-elle en ses articles 14 et 15 que " Art. 14 : Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. et que "Art. 15 : La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration.".

Plus largement encore, le régime républicain repose tout entier sur l'idée de mandat, à savoir que les citoyens, titulaires collectivement de la souveraineté, donnent pouvoir à leur représentant d'agir en leur nom, pour leur compte et dans leurs intérêts. La mandataire a le devoir de rendre compte de sa mission à son mandant, à qui il appartient seul de juger si celle-ci a été remplie.

Quant aux ministres, ils sont des serviteurs du souverain. Or, si le souverain était autrefois le roi, c'est aujourd'hui, pour le meilleur et pour le pire, le peuple agissant par ses mandataires à savoir les membres du Parlement et le Président.

Son obligation à se justifier est donc double : devant les mandataires du peuple que sont le Président (ce qui ne pose à priori pas de difficulté) et les parlementaires d'une part, et d'autre part devant les citoyens mandants eux-mêmes.

C'est donc à Edouard Philippe de prouver aux citoyens et à leurs représentants la valeur et l'opportunité de ses actes et non à nous, citoyens et représentants d'iceux, à démontrer la pertinence de nos critiques. A cet égard, nous posons les questions que nous voulons, selon les termes dont il nous plaît d'user.

Que le premier ministre me laisse donc, moi et mes députés commenter.

La gestion des masques, maître étalon de l’action du gouvernement

Et à propos de commenter, penchons-nous sur la gestion des stocks de masques et de gels hydroalcooliques. En effet c’est cet aspect de l’action du gouvernement qui est le plus sujets aux critiques.

Par décret du Premier Ministre n° 2020-247 du 13 mars 2020, l'Etat a "requisitionné, jusqu'au 31 mai 2020 : Les stocks de masques de protection respiratoire (...)" et "Les stocks de masques anti-projections". Ce, dans le but déclaré "d'en assurer la disponibilité ainsi qu'un accès prioritaire aux professionnels de santé et aux patients dans le cadre de la lutte contre le virus covid-19".

Précision est faite une semaine plus tard dans le décret n° 2020-281 du 20 mars 2020, que "des stocks de masques importés peuvent toutefois donner lieu à réquisition totale ou partielle, par arrêté du ministre chargé de la santé, au-delà d'un seuil de cinq millions d'unités par trimestre par personne morale.".

Dispositions confirmées enfin par le décret du n° 2020-293 du 23 mars 2020.

Au nom de ces règlements, l'Etat a pu appréhender des masques partout où ils se trouvaient, allant même jusqu'à intercepter des commandes passées... par les collectivités locales pour leurs propres soignants, sans égards donc pour le droit de propriété ni pour la subsidiarité, le développement autonome des collectivités et toute ces grandes idées qui imprégnaient les communiqués ministériels jusqu'ici.

La justice a même pu condamner des personnes qui cherchaient à vendre des masques à des particuliers.

Une réquisition qui crée le besoin

Sur plan des principes, l’usage de la réquisition est déjà curieux.

Nul ne conteste le pouvoir qu'à l'Etat de prendre une telle décision.

Comme le rappelle le Professeur Benoît Plessis dans les colonnes du Figaro ("Réquistion des masques, que dit le droit ?" https://www.lefigaro.fr/economie/requisition-de-masques-que-dit-le-droit-20200306), la réquisition fut utilement utilisée mainte fois dans le passé, notamment lors de l'épisode des taxis de la Marne ou celui des loyers de 1948, lors desquels le gouvernement réquisitionna respectivement tous les moyens de transport disponibles pour envoyer les soldats au front et les logements vacants pour loger les millions de Français privés de toits.

Toutefois, ce type de mesure est ordonné à une fin particulière.

Si nous reprenons les deux exemples cités par le professeur Plessis, les taxis de la marne et la réquisition des logements vacants en 1948, nous comprenons que le résultat de la réquisition a été de procurer un bien rare à des personnes qui en avait besoin. L'armée manquait cruellement de camions et de trains pour transporter des centaines de milliers de soldats en un temps record : il fallut réquisitionner taxis, chevaux, charrettes etc. les retirer aux civils qui en avaient un besoin modéré, pour les donner aux soldats qui, à défaut, ne pouvaient enrayer l'invasion allemande. En 1948, les logements vacants, donc en surplus, ont été requis et attribués à ceux qui manquaient de logement, et ce pour des besoins de salubrité publique.

En somme, le but était d'empêcher la pénurie en redirigeant des stocks limités vers ceux qui en ferait le meilleur usage.

Or ici, la situation est inverse.

D'abord les produits visés, gel hydro-alcoolique et masques de protection, ne sont pas rares: autant il est difficile de produire des milliers de wagons en quelques jours ou de construire des milliers d'immeubles dans un délais acceptable quand des millions de gens dorment dehors, autant un délai de deux mois et demi semble amplement suffisant pour produire des bouts de papiers stériles et du gel pour les mains, du moins pour la sixième économie mondiale. La meilleure preuve étant qu'il n'y a pas eu la moindre pénurie dans les autres pays riches.

Ensuite, les masques et gels ont une finalité bien particulière : empêcher la propagation du virus dans la population et non de le guérir, si bien que ceux qui ont besoin de ces masques et de ce gel, c'est tout le monde. Que la priorité soit donnée aux soignants et malades dont la vie est pour ainsi dire, plus précieuse, soit. Reste que leur raison d'être est de n'être pas réservé à une petite partie de la population mais au contraire diffusés le plus largement possible, d'autant plus que leur maniement ne requiert évidement aucune compétence médicale particulière.

Réquisitionner les masques et gels n'avait donc pas vraiment de sens puisqu'il aurait au contraire fallu qu'ils circulassent le plus rapidement possible entre toutes les couches de la population.

A cet égard, cela avait naturellement d'autant moins de sens d'en interdire la vente et l'achat privé. De douteuse dans son principe, la réquisition l'est donc aussi dans son étendue.

La réquisition des masques, masque d’une confiscation ?

C'est que, sous le terme de réquisition, le gouvernement a, en réalité, instauré un monopole à la distribution de masques; et en interdisant l'achat de ces masques, il a en outre instauré un "monopsone", selon le terme utilisé en droit de la concurrence, c'est à dire un monopole à l'achat au profit de l'Etat.

Certes, il est tout à fait compréhensible que les soignants et les malades soient protégés en priorité, leurs vies étant respectivement les plus précieuses et les plus fragiles, mais pour rapidement en faire bénéficier le plus grand nombre une fois ceux-là pourvus.

Or ce n'est pas du tout ce qui s'est passé. Pendant deux mois, les masques et la chloroquine, ainsi que le gel hydroalcoolique ont été introuvables.

Et pour cause, la réquisition, à la nécessité douteuse dans son principe et dans son étendue, s'est révélée un désastre dans l'application.

Au lieu de créer l'abondance, la réquisition a engendré une pénurie laissant l'immense majorité de la population démunie. Non seulement la population, mais aussi une grande partie des "soignants" qui n'avaient pas l'heur de travailler dans un hôpital public, y compris les médecins, qui pourtant ne sont ni moins compétents ni moins utiles.

C'est là un événement qui mérite, plus que tout autre, des explications détaillées aux citoyens.

D'autant plus que beaucoup d'entreprises, de la grosse firme jusqu'à l'entreprise familiale, ont tenté de vendre des masques à l'Etat pour qu'il les distribue et que celui-ci a refusé, soit tacitement en ne répondant pas aux sollicitations, soit en se fondant sur le non-respect d'un obscure cahier des charges. Quant à ceux qu'il voulait bien acheter à l'étranger, il semble que leurs vendeurs refusaient, craignant les délais de paiement apparemment légendaires de l'Etat Français (six à huit mois !).

Une chose est de se réserver un "monopsone" et un monopole à la distribution en arguant du salut public, quelle que soit par ailleurs la valeur de l'argument, une autre est de le faire sans pour autant acheter ni distribuer. Matériellement, il ne s'agit pas d'une réquisition mais d'une confiscation pure et simple.

Ajoutons à ce troublant tableaux la découverte du journal le Monde aux dires duquel des centaines de milliers de masques ont été brûlés jusqu’à plusieurs semaines après le début du confinement, sans que le gouvernement le sache, certes, mais tout de même.

Ce faisant, a été enclenché, du moins est-il permis de le supputer, un cercle vicieux : la seule demande autorisée étant nulle ou très insuffisante, l'offre a fondu comme neige au soleil alors même que le produit en question était plus que jamais nécessaire.

Au désastre de l'application s'ajoute donc le scandale d'une privation volontaire et organisée.  

Pour pallier au manque de protection, a été décidé un confinement drastique qui a littéralement sapé nôtre économie "aux fondements encor mal assurés" - aurait dit Camille - et dont il résultera sans doute une vague de licenciement et autres conséquences néfastes. Sur le plan moral, même, des familles ont étés séparées, la délation a proliféré, des mourants ont été privés du soutient de leurs famille et des secours de la religion, et l'assistance aux messes suspendue.

Il nous appartient de poser les questions

Plutôt que la soviétisation brutale des moyens de prévention et des médicaments, l'Etat de cette France soit disant "ultra-libérale" ne pouvait-il pas acheter les masques au même titre que tout le monde et ainsi stimuler une offre qui ne demandait qu'à offrir? Si les stocks initiaux manquaient au début, le droit public connait déjà depuis longtemps la préemption qui aurait simplement donné à l'Etat la priorité sur les ventes et non l'exclusivité. Le contrôle des prix même aurait été possible du moment que les fabricants pouvaient encore réaliser un bénéfice. Gageons que, devant une clientèle obligée de consommer quotidiennement leur produit, les opérateurs privés n'auraient pas ménagé leurs efforts pour envoyer des masques, comme ce fut le cas ailleurs.

Si c'est l'argent qui manquait, alors là encore plusieurs questions se posent: Pourquoi les contribuables, en ce compris les français et les étrangers d'ailleurs, paient ils impôts et cotisations au montant substantiels, si c'est pour être privés des moyens de se soigner et contraints de sacrifier leur gagne-pain, leur vie sociale, la réception des sacrements à la première crise venue?

Deuxième question, pourquoi Emmanuel Macron a t-il déclaré remettre les dettes de l'Afrique et même leur donner plus d'argent encore ? Ces créances ne sont pas les siennes mais celles des français, tout comme cet argent qu'il se proposait de donner, de quel droit y renonce-t-il ? De quel droit y renonce-t-il alors que le peuple qui lui a confié ces fonds en a, manifestement, un besoin pressant, voire oppressant ? De quel droit, alors que les vendeurs craignent des délais de paiement absurdes qu'aucune personne privée ne pourrait se permettre sans être attraite en paiement et dommages intérêts devant les tribunaux ?

Dernière question, sans doute la plus importante et qui englobe toutes les autres : n'y avait-il rien que le gouvernement ait pu faire pour prévenir la pandémie ou en limiter les effets, autres que nous priver de plusieurs libertés essentielles ?

Il ne nous appartient pas ici d'apporter des réponses. L'exercice du pouvoir est un art difficile et nous sommes prêts à croire qu'il y a des choses que nous ne savons pas, qu'il a fallu arbitrer entre des informations contradictoires ou que les conséquences de certains choix étaient peu prévisibles.

Il nous appartient en revanche de poser des questions et d'exiger des réponses.

Charles Rouvier, Avocat à la Cour

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