Non, l’islamoscepticisme n’est pas un crime
La jeune Mila, « instagrameuse » de 17 ans, vient d’être rescolarisée sous protection le 10 février dernier. Pour rappel, sa vie est toujours menacée après avoir notamment déclaré « je déteste la religion, le coran est une religion de haine, il n’y a que de la haine là-dedans, l’Islam c’est de la merde ».
Dans un pays où plus de 260 de nos compatriotes (1) sont récemment tombés sous le coup des fusils et pare-chocs de fanatiques agissant au nom de cette religion et de nulle autre, où des journalistes sont morts assassinés pour cette même raison, il apparaît légitime de s’en inquiéter. Ce qui inquiète, ce qui choque, c’est surtout que les soutiens à cette adolescente se comptent sur les doigts d’une main. Parmi eux le site militant Bellica, le journal Marianne, Marlène Schiappa, et quelques autres (2 & 3). Où est passé l’esprit Charlie ?
Tout commence à l’issu d’une discussion sur les réseaux sociaux au cours de laquelle son homosexualité est ouvertement abordée. Des musulmans lui souhaitent alors de « bruler en enfer » et l’invectivent de « sale Française » ou encore de « sale gouine ». Pleuvent ensuite menaces de mort et de viol. Ses agresseurs invoquent le dogme de la religion musulmane à l’appui de leurs arguments.
Sa vie est depuis menacée, et les ligues de défenses, d’habitude si promptes à réagir, restent étonnement silencieuses.
Cette affaire est grave, non seulement parce qu’elle confirme ce que nombre d’études statistiques ont démontré, à savoir que la première menace en France contre l’égalité entre hommes et femmes et contre les droits de l’Homme est aujourd’hui le fait d’individus se revendiquant musulmans (4), mais aussi parce qu’elle laisse présager un effritement de principes juridiques primordiaux. Parmi eux, les plus importantes des libertés fondamentales : les libertés de conscience et d’expression.
Le blasphème : ce crime qui n’en est pas un
Bien que certains de nos voisins - dont l’Italie et la Grèce (5)- reconnaissent le blasphème comme infraction, la France est de par son Histoire très attachée à la liberté d’expression, notamment concernant la religion. Le blasphème, c’est-à-dire l’expression « irrévérencieuse » sur un sujet sacré, est, du fait de sa définition éminemment subjective, permis. Certains pays, tous musulmans, prévoient quant à eux la peine de mort pour ce que nous concevons comme une facette de la liberté d’expression (6).
La liberté d’expression, d’exprimer son désaccord, et de choquer
La liberté d’expression existe-t-elle vraiment si elle ne couvre que les propos consensuels et politiquement corrects ? Le désaccord voire le trouble qu’elle est amenée à susciter dans l’esprit de chacun peut-elle légitimement lui faire obstacle ? Non, et c’est d’ailleurs ce que la CEDH affirme lorsqu’en 1994 elle rappelle dans l’arrêt « Otto-Preminger-Institut c. Autriche » (7) que l'article 10 de la Convention consacrant la liberté d’expression protège aussi les propos qui "heurtent, choquent ou inquiètent", et même « la propagation de doctrines hostiles à [la] foi [des croyants]".
La liberté d’expression n’est cependant pas sans limite : la provocation « à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de […] leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis » par des peines d’emprisonnement et/ou d’amendes nous dit la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Les mêmes peines sont prévues en cas d’appel à la haine en raison de l’orientation sexuelle (8).
En d’autres termes, Mila, qui exprimait son avis -qu’elle présentait comme tel - à propos d’une religion et non de personnes, était dans le champ de la liberté d’expression.
Ceux qui l’ont agressée ou qui soutiennent ces agressions par leurs explications et justifications se trouvent en dehors de ce champ. Ils doivent être poursuivis et sanctionnés.
Outre ses nombreux agresseurs parés de la lâcheté de l’anonymat, notons aussi la réaction du Conseil français du culte musulman qui par la voix de son représentant a affirmé lors d’une émission de radio que « qui sème le vent récolte la tempête ».
En parallèle de ces justifications patentes se retrouvent de trop nombreuses explications qui confondent ce qu’il est convenable de dire, et ce qu’on a le droit de dire. On y compte Edouard Louis, militant LGBT qui estime que « la liberté, le progrès, c’est qu’il y a des choses qu’on ne peut pas dire » (9), mais aussi Alain Finkielkraut qui dénonce ce « dégueulis verbal » (10). Confondre la sphère de la convenance et celle de la légalité, prendre appui sur la valeur d’un propos pour juger de son droit à exister, n’est-ce pas là le plus dangereux des raisonnements ? Cette confusion ressemble plus à une fuite qu’à une réponse : aborder la convenance, c’est refuser d’aborder le droit de penser et d’exprimer son désaccord, aussi outrancier que d’aucuns puissent le juger. C’est permettre qu’un droit fondamental soit soumis à la discrétion de chacun et faire du débat et de la sphère publiques un « safe space » infertile.
L’ancien ministre Brice Hortefeux (11) relève lui des propos « inutilement agressifs et injurieux ». On regrette une fois de plus également la confusion qu’il existe entre objectif et subjectif. Brouiller les deux domaines, c’est refuser son rôle de la loi : si chacun peut se sentir attaqué, voire insulté, les textes du législateur ne doivent, au risque de dénaturer leur justice et leur équilibre, que condamner ce qui est objectivement insultant.
C’est ce qu’ils font, appliquons-les.
Ivan Aubert
Directeur du CDL Strasbourg
(2) https://www.marianne.net/societe/mila-16-ans-menacee-de-mort-pour-avoir-critique-l-islam
(4) https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2019/11/116798_Rapport_ifop_ELLE_2019.10.21.pdf
p. 45 et suivantes, il est mis en exergue que les musulmans (ainsi que les personnes « de gauche » sont beaucoup plus susceptibles de réaliser des agressions sexuelles que le reste de la population. Le rapport illustre aussi l’avis de l’échantillon de population musulmane interrogée sur les droits des femmes.
(5) https://www.institutmontaigne.org/blog/le-blaspheme-en-france-et-en-europe-droit-ou-delit
(7) http://host.uniroma3.it/progetti/cedir/cedir/Giur_doc/Corte_Stras/Otto-Prem_Aut1994.pdf
(8)