Elle le présente comme "ample et ambitieux" - le ministre de la Justice Nicole Belloubet se réjouit de l'adoption, dans le nuit du 18 au 19 février, du projet de réforme de la justice.
Cette réforme est néanmoins loin de faire l'unanimité, qu'il s'agisse de l'opposition parlementaire ou des professionnels de la justice. L'occasion de revenir sur les principales nouveautés défendues par le Garde des Sceaux.
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Fusion des TI et TGI
La réforme prévoit la création de tribunaux judiciaires, fusion entre les tribunaux d'instance et les tribunaux de grande instance. Le vote, en décembre dernier, de ce pan de du projet avait mis le feu aux poudres du côté des professionnels de la justice. "On ne cesse de rogner sur les compétences du juge d'instance. Or, c'est lui qui juge des contentieux des plus faibles et des plus démunis", déplorait Céline Parisot, présidente de l'Union syndicale des magistrats (USM).
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Numérisation
Le texte prévoit une numérisation accrue des procédures. Les victimes auront la possibilité de déposer plainte en ligne, sans passer par la case gendarmerie ou commissariat. "Les litiges de moins de 5000 euros devront être réglés par la voie dématérialisée et par des plateformes payantes", souligne Frédéric Zajac, président de la conférence régionale des bâtonniers d'Ile-de-France. "Il ne suffit pas de porter plainte : il faut qu'on vous réponde. Or, le parquet a désormais 6 mois pour le faire au lieu de 3", déplore-t-il.
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Parquet national antiterroriste
Autre mesure importante : le mise en place d'un Parquet national antiterroriste se substituant au parquet de Paris pour le traitement des infractions terroristes, des crimes de torture, des délits et crimes de guerre, ainsi que des crimes contre l'humanité.
Cette mesure, qui semble s'orienter vers l'allocation de davantage de moyens en matière de lutte contre le terrorisme, peut interroger quant à son caractère "national". Ces ministères publics nationaux auraient pour effet l'affaiblissement des parquets locaux, menant ainsi à un excès de centralisation.
A noter que l'expérience a été tentée avec le fameux Parquet national financier (PNF), rendu célèbre en 2017, lors des affaires Fillon.
Certains accusent le PNF d'agir asymétriquement en fonction des affaires et de leurs sensibilités. Cette attitude exaspère certains magistrats et avocats convaincus qu’il existe des pressions politiques faisant pencher la balance tantôt à droite, tantôt à gauche, au gré du changement de bord politique de l'exécutif. Force est de constater que dans certains dossiers, le PNF s'est montré redoutablement rapide (affaire Fillon) et que dans d’autres cas, l'instance a choisi de ne pas engager de procédure (affaire Business France).
Affaire à suivre, donc.
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Réforme pénale
Le gouvernement prévoit la suppression des peines inférieures ou égales à un mois de prison.
S'agissant des peines de prison dont la durée est comprise entre 1 et 6 mois, l'exécutif souhaite mettre en place un aménagement de peine systématique, c'est-à-dire la mise en place d'une alternative à la détention. Si supprimer les peines inférieures ou égales à un mois de prison est compréhensible, l'aménagement automatique évoqué en sus semble davantage critiquable, la justice voyant son caractère dissuasif substantiellement remis en cause, surtout en matière de petite délinquance.
Cela dit, la réforme prévoit les peines supérieures à un an de prison ferme seront systématiquement exécutées en prison. Exit les aménagements, donc.
En matière de procédure pénale, la réforme prévoit d'accorder de nouvelles prérogatives au parquet s'agissant de techniques spéciales d’enquête (sonorisation, écoutes, géolocalisation etc.) jusqu'alors le monopole des juges d’instruction ou alors réservées aux enquêtes en flagrance pour les crimes ou les délits les plus graves. Certains avocats pénalistes évoquent une régression des libertés.
L'Assemblée a habilité le gouvernement à réformer par ordonnance le texte fondateur de la justice des mineurs : l'ordonnance du 2 février 1945. Le Code de la justice pénale des mineurs n'est censé entrer en vigueur "qu'après débat parlementaire", souhaite néanmoins le Garde des Sceaux.
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Tribunal criminel départemental
Le projet prévoit d'expérimenter dans certains départements un tribunal criminel composé de cinq magistrats chargés de juger des des crimes punis de 15 à 20 ans de prison. Parmi ces crimes, on estime qu'environ 60% des affaires en cause concerneront des crimes sexuels - les associations de lutte contre le viol et le harcèlement sexuel déplorent une forme de minoration de la gravité de ces actes. Selon le président de l'association des avocats pénalistes Christian Saint-Palais, "la motivation réelle, c'est de faire des économies, d'aller plus vite dans la gestion des dossiers. En cour d'assises, on repart à zéro puisque les jurés ne connaissent pas le dossier. Ce qui se passe à l'audience est essentiel, [...] on ne se contente pas de ce qui a été fait pendant l'instruction. Cela prend du temps mais c'est un temps nécessaire."
Les cours d'assises continueront, quant à elles, à juger les crimes passibles de plus de vingt ans, et l'ensemble des crimes en appel.
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En matière civile
En matière civile, la réforme prévoit la suppression la phase de conciliation obligatoire en cas de divorce. La procédure de divorce se voit donc facilitée. Si la phase de conciliation était rarement efficace, sa suppression porte symboliquement un coup supplémentaire à l'institution du mariage.
Les modes de règlement amiable des différends vont être favorisés. Ainsi, dans un procès, le juge pourra statuer sur des questions de principe comme la responsabilité d'un dommage puis renvoyer les parties vers la médiation pour l'évaluation des réparations. Certains professionnels dénoncent une "ubérisation de la justice", déplorant le recours à des médiateurs professionnels que tout justiciable n'est pas en mesure de financer.
Sources :
Vie publique (site gouvernemental)