Circulaire Darmanin : quand l’État s’essaye au « pré-crime » – Analyse de Thibault Mercier

Circulaire Darmanin : quand l’État s’essaye au « pré-crime » – Analyse de Thibault Mercier

Nous nous étions inquiétés en 2023 de cette circulaire qui venait porter une atteinte majeure à nos libertés d'expression et de réunion. Voilà pourquoi nous avions, avec notre avocat Philippe Prigent, déposé un recours. 

La circulaire qui interdisait d'office certaines manifestations qualifiées arbitrairement par le Gouvernement d'"extrême-droite" évoquait pour nous le pré-crime des pires films de science-fiction en vertu duquel un individu pourrait être déclaré coupable d’une infraction avant même de l’avoir commise. 

Le Gouvernement ne pouvait feindre d’ignorer l’illégalité manifeste de ces arrêtés, violant un principe cardinal de notre droit selon lequel « la liberté est la règle ; la restriction, l'exception » que le Conseil d'État a maintes fois confirmé en des temps troublés, comme en 1917 et en 1933. 

Par cette circulaire le Gouvernement développait en outre l'idée qu'il fallait défendre un ordre public "immatériel" qui est en fait la création d’une nouvelle morale officielle.  Alors qu'il est au contraire primordial  d’autoriser l’expression publique de tous les points de vue, seul moyen d’assurer la quête de vérité.  

Le temps judiciaire n'est pas le temps médiatique et notre recours a finalement été jugé récemment. 

Le Conseil d'Etat nous a donné tort et a vidé de son sens la circulaire Darmanin en jugeant qu'elle n'avait aucune portée juridique. (quelle blague !) 

Selon le juge administratif, la circulaire n'édictait aucune interdiction : "en dépit de l’intitulé de son objet (qui je le rappelle était "Interdiction des manifestations et rassemble d'ultra droite"), la circulaire attaquée ne prescrit pas, et ne pourrait avoir légalement pour effet, d’interdire, de manière générale et absolue, tout rassemblement ou manifestation organisé par une personne ou une organisation appartenant au courant politique dit d’ultra-droite". 

Les conseillers d'Etat ont ainsi décidé de lire dans l'instruction le contraire de ce qui y était écrit. 

En substance le juge nous dit que "si l'instruction donnée par M. Darmanin édictait une interdiction, elle serait illégale mais en fait elle n'édicte pas d'interdiction, donc je ne peux pas l'annuler".  

Cette logique est évidemment délirante car alors n'importe quelle instruction administrative peut échapper à l'annulation si l'administration a donné un ordre manifestement illégal.  

Il est terrible que ces attaques répétées à nos libertés reçoivent le blanc-seing du juge administratif. Existe-t-il en France encore des freins aux avancées liberticides du Gouvernement ?

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