Compte-rendu, dîner avec Ali Laïdi le 4 octobre 2022

Compte-rendu, dîner avec Ali Laïdi le 4 octobre 2022

Le mardi 4 octobre, le Cercle droit et liberté recevait Ali Laïdi, journaliste, docteur en science politique et chercheur spécialisé dans la guerre économique, pour présenter son dernier livre, Histoire du protectionnisme

Le livre se divise en deux parties. La première porte sur la manière dont les sociétés économiques, de l’Antiquité à aujourd’hui, ont protégé leur économie. La deuxième est une histoire des faits protectionnistes produit par produit. Le but du livre n’est pas de prôner la guerre économique mais de révéler ce phénomène. Il revient ensuite aux décideurs de décider de quoi faire : laisser faire ou bien rendre les coups.

L’auteur a commencé par définir le concept de guerre économique : « la guerre économique est l’utilisation des moyens déloyaux et/ou illégaux pour préserver un marché économique ». La guerre économique existe depuis toujours, aussi bien en temps de guerre qu’en temps de paix. Les premiers affrontements à l’époque néolithique sont dûs à des questions économiques, la sédentarisation s’accompagnant de la création de stocks de nourriture qui attirent la convoitise. 

Dans cet ouvrage, Ali Laïdi a eu une démarche différente vis-à-vis de ses précédents livres. La guerre économique est un concept qui n’existe pas à l’université. Puisque le protectionnisme, au moins, existe à l’université, l’auteur s’est décidé à descendre d’un niveau, de la guerre économique au protectionnisme. Il s’est interrogé sur la façon dont se protègent les groupes d’un point de vue économique. Ainsi, cette œuvre se consacre aux exemples et dépeint une véritable histoire des faits protectionnistes. Ces faits ont toujours existé ; ce n’est que récemment que l’idéologie libérale est apparue lorsque l’économiste Adam Smith et les élites britanniques obligèrent le monde entier à devenir libéral après l’être devenus eux-mêmes. Au début du XIXe siècle, ce sont les mercantilistes qui définissent le protectionnisme en miroir du libéralisme. Les premiers protectionnistes sont des libéraux considérant que le modèle libéral anglais va trop loin. Le mot « protectionnisme » est dénigré. Le mot « protection » l’est moins et suscite de l’intérêt car ce terme remonte à notre contrat social, philosophiquement parlant : on renonce à la violence car la protection sera assurée par le groupe. La protection est ainsi au cœur du système et, s’il y a une reprise de la liberté d’utiliser la violence soi-même, alors, le contrat social s’achève (cf. gilets jaunes). 

Ali Laïdi affirme qu’il serait stupide d’être entièrement protectionniste de la même façon qu’il serait stupide d’être entièrement libéral. L’histoire est rythmée par diverses phases, tantôt de libéralisme, tantôt de protectionnisme. L’Angleterre, au XIXe siècle, a exporté son modèle libéral. Elle envoie des agents en France, comme John Brown, qui sillonnent l’hexagone et publient des écrits contre le protectionnisme et promeuvent le libéralisme. L’Angleterre fait de même en Chine mais celle-ci refuse de s’ouvrir ; alors, Londres y déclenche les deux guerres de l’opium pour forcer l’ouverture économique. 

L’idée centrale de cet ouvrage est de montrer que, contrairement à ce que dit le mythe néolibéral, une économie peut vivre avec une dose de protectionnisme. Ali Laïdi prend l’exemple des Etats-Unis qui ont imité le Royaume-Uni : ils se sont fermés à leurs débuts afin de protéger leurs industries avant de s’ouvrir une fois leur puissance affirmée. Ils s’ouvrent en 1945 avec de grandes institutions comme Bretton Woods, le GATT, le FMI, etc. Cette phase de libéralisme permet un désarmement au niveau des barrières tarifaires puisqu’on passe de droits de douane de 30-40% à 3-4% en moyenne. En 2008, il y a un sursaut protectionniste mais c’est véritablement en 2016 qu’il y a un grand changement. Ce changement est dû à deux événements : le Brexit et l’élection de Donald Trump à la présidence américaine qui fait une sorte de “protectionnisme intelligent” avec un discours libéral mais une pratique protectionniste. Ainsi se ferme la parenthèse libérale, ouverte par les mêmes acteurs, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. L’Europe met du temps à comprendre ce changement. Il faut attendre l’impact de la pandémie du Covid pour une prise de conscience. Pourtant, à Bruxelles, on n’utilise pas le mot « protectionnisme » car celui-ci est radié par 90% des économistes et des hommes politiques. On lui préfère le mot de « résilience » qui signifie la même chose. C’est un vieux réflexe historique qui nous fait encore croire que le marché est la rencontre entre deux acteurs ayant les mêmes informations et se mettant d’accord (Adam Smith). Or, le marché, a d’autres implications : les néo-classiques affirment que le marché est le lieu de la concurrence où celui qui remporte la mise est celui ayant le plus d’informations. Le marché n'est pas le lieu de la transparence mais le lieu de l’opacité, le lieu de la guerre d’informations. 

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