Le Conseil d’Etat confirme l’interdiction d’embrasser sa fiancée

Le Conseil d’Etat confirme l’interdiction d’embrasser sa fiancée

Sertorius, avocat au Barreau de Paris

Ceci n’est pas une parodie : à la demande du Gouvernement, le Conseil d’Etat a rejeté le recours contre l’interdiction sous peine d’amende de se trouver à moins d’un mètre d’une autre personne « en tout lieu et en toute circonstance ».

Cette prohibition générale inclut donc toute activité qui conduit à se trouver à moins d’un mètre même de son conjoint ou de ses enfants, y compris chez soi. Selon le gouvernement du « parti des élites », cette interdiction est tout à fait raisonnable et proportionnée et en même temps se réunir à plusieurs milliers pour insulter les forces de l’ordre ou menacer les magistrats dans l’affaire Traoré est un droit de l’homme.

Commençons par un rappel de droit répressif. L’article R 610-5 du Code pénal dispose : « La violation des interdictions ou le manquement aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police sont punis de l'amende prévue pour les contraventions de la 1re classe ». Toute interdiction prévue par un décret en matière de police sanitaire ou autre doit donc être respectée sous peine d’amende. L’article R 610-5 repose sur l’idée que l’autorité administrative sait ce qu’elle fait lorsqu’elle inscrit une prohibition dans un règlement de police, de sorte que la violation de cette interdiction doit être sanctionnée.

Le Code pénal contient aussi un article 223-1 relatif à la mise en danger de la vie d’autrui par violation d’une obligation de prudence légale ou réglementaire : « Le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ». Ainsi, le seul fait d’exposer autrui à un risque de mort ou d’infirmité permanente permet une condamnation si la prise de risque résulte de la méconnaissance d’une obligation de sécurité imposée par un décret.

Au vu des articles 223-1 et R 610-5, le Gouvernement devrait prendre garde au contenu des décrets destinés à lutter contre une maladie potentiellement mortelle afin de ne pas exposer les citoyens à des poursuites arbitraires.

L’excellent gouvernement de Jupiter a donc adopté un décret du 11 mai repris dans un décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

L’article 1er de ce décret prévoit : « Afin de ralentir la propagation du virus, les mesures d'hygiène définies en annexe 1 au présent décret et de distanciation sociale, incluant la distanciation physique d'au moins un mètre entre deux personnes, dites « barrières », définies au niveau national, doivent être observées en tout lieu et en toute circonstance ».

Selon ce texte, il est donc obligatoire en droit de se tenir toujours à plus d’un mètre d’une autre personne, quelles que soient les circonstances et indépendamment de l’endroit où l’on se trouve. La prohibition est générale et absolue, y compris entre personnes qui vivent ensemble, comme les membres d’une même famille.

Avec un peu de chance, toute violation de cette interdiction expose à une amende de 38 € (donc 3 800 € d’amende pour 100 violations). Avec moins de chance, on risque des poursuites devant le tribunal correctionnel pour mise en danger de la vie d’autrui.

Sans minimiser la gravité de la pandémie, est-il vraiment raisonnable de la part du gouvernement qui a longtemps découragé le port du masque voire l’a interdit aux forces de l’ordre de prohiber toute proximité physique inférieure à un mètre pendant plusieurs semaines sur tout le territoire national ?

Cet article du décret a fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir assorti d’un référé demandant à ce qu’il soit suspendu le temps de statuer au fond.

Le Gouvernement a défendu son texte en soutenant qu’il était raisonnable en raison du danger gravissime posé par le coronavirus et que de toute façon il serait appliqué seulement là où les policiers, gendarmes et procureurs le souhaiteraient. Si le Procureur n’apprécie pas une personne, il peut la faire verbaliser voire la poursuivre pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui mais l’arbitraire lui permet aussi de ne pas poursuivre ceux qui lui plaisent davantage. C’est la généralisation de la méthode Parquet national financier face à François Fillon : de nombreux parlementaires employaient fictivement leur conjoint ou leur maîtresse mais seuls ceux qui déplaisent au Procureur seront poursuivis.

Peu désireux de révéler l’absurdité gouvernementale, le Conseil d’Etat a inventé une nouvelle catégorie juridique : les décrets qui « s’apparentent davantage à des recommandations qu’à des règles de police susceptibles d’être sanctionnées par l’infliction de contraventions ».

Peu désireux de révéler l’absurdité gouvernementale, le Conseil d’Etat a inventé une nouvelle catégorie juridique : les décrets qui « s’apparentent davantage à des recommandations qu’à des règles de police susceptibles d’être sanctionnées par l’infliction de contraventions ». Il aurait été facile au juge administratif d’annuler l’interdiction en disant qu’elle n’avait rien à faire dans un texte doté d’un effet juridique comme un décret mais il a choisi la voie si charmante du clair-obscur. L’article 1er du décret interdisant s’approcher à moins d’un mètre d’une autre personne en tout lieu et toute circonstance pourrait n’être qu’une recommandation mais en même temps on n’est sûr de rien car il s’agit d’une simple parenté avec une recommandation dépourvue d’effet juridique.

En l’état, l’article 1er du décret reste en vigueur, de sorte que les forces de l’ordre pourront verbaliser les contrevenants à la tête du client. On leur souhaite bonne chance pour exposer aux policiers et gendarmes la distinction des « sages du Palais royal », en espérant qu’ils connaissent son ordonnance rejetant le recours contre l’interdiction d’embrasser sa fiancée.

Ordonnance disponible en téléchargement ici.

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