Covid-19 et élection présidentielle ne font pas bon ménage

Par Maxence Sobral

Depuis plusieurs mois, journalistes, autorités publiques et citoyens s’émeuvent1 des conséquences que pourrait avoir la persistance de l’épidémie de Covid-19 sur la prochaine élection présidentielle qui devrait se dérouler les 10 et 24 avril 20222.

Déjà confronté par deux fois à des élections perturbées par la crise sanitaire, le Gouvernement, soutenu en ce sens par le Parlement, a, à deux reprises, d’abord préféré la solution du report de scrutin à celle d’un aménagement global des opérations électorales. Certes, ces opérations avaient finalement été aménagées a minima3 mais, en ce qui concerne les scrutins du mois de juin dernier, uniquement grâce à un avis déterminant du 29 mars 2021 du « Conseil scientifique » qui avait convaincu le pouvoir exécutif d’écarter définitivement l’hypothèse d’un deuxième report des
élections départementales et régionales au regard du contexte épidémique qui prévalait.
Alors que notre pays est désormais frappé par la circulation du variant Delta du virus et que le président du « Conseil scientifique », Jean-François Delfraissy, a estimé plausible il y a un peu plus d’un mois un « retour à la normale […] en 2022 ou 2023 » ainsi que la circulation d’un nouveau
variant durant l’hiver4, il apparaît très clairement acquis que la Covid-19 viendra troubler de manière plus ou moins préoccupante l’élection du prochain Président de la République. De quoi inquiéter les Sages du Conseil constitutionnel ?

Un report du scrutin improbable

Concrètement, les possibilités pour le Gouvernement d’adapter l’organisation du scrutin à l’évolution de l’épidémie de Covid-19 sont limitées. Sans préjuger de ce que sera la situation sanitaire l’hiver prochain puis au printemps 2022, la solution extrême du report de l’élection
présidentielle paraît d’ores et déjà quasi-exclue. En effet, l’article 7 de la Constitution enferme dans des délais très précis la tenue du premier tour de scrutin : celui-ci ne peut se tenir qu’entre le vingtième jour (soit le 23 avril) et le trente-cinquième jour (soit le 8 mai) précédant l’expiration des
pouvoirs du président en exercice.

Un report nécessiterait donc une révision constitutionnelle, politiquement difficile à concrétiser.

Seul un court délai de report d’urgence du scrutin pourrait être admis sur décision du Conseil constitutionnel, sans que le premier tour ne puisse se tenir « plus de trente-cinq jours » après la date de sa décision (avant-dernier alinéa de l’article 7 de la Constitution). Une telle solution n’aboutirait qu’à un décalage du scrutin d’au plus un mois et aurait donc, sauf extrême urgence, une utilité relativement limitée au regard de l’évolution qui peut être
raisonnablement prévue de la situation sanitaire à court terme à compter de cet hiver.

Le Conseil constitutionnel, arbitre à la place de l’arbitre ?

L’hypothèse du report étant écartée, le Gouvernement gagnerait en revanche à aménager le déroulement des opérations électorales de sorte que celles-ci puissent permettre de garantir au maximum la sincérité du scrutin, principe à valeur constitutionnelle5 qui recouvre notamment la
protection du libre exercice du droit de vote et celle de l’égalité entre les candidats et entre les électeurs.
Si les aménagements effectués n’étaient pas suffisants, en présence d’un fort taux d’abstention, pour qu’il soit permis de considérer, selon la gravité de la situation épidémique à date, que le scrutin a été sincère, le Conseil constitutionnel, saisi de l’ensemble des opérations électorales par un ou plusieurs des candidats en lice ou par une réclamation portée par un électeur au procès-verbal des opérations de vote6, pourrait tout à fait annuler intégralement ces opérations en cas de faible écart de voix au
premier tour, entre les deuxième et troisième candidats ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages, ou, à l’éventuel second tour, entre les deux candidats restés en lice. Certes, ce pouvoir d’annulation totale, que le Conseil tient de sa qualité de juge de la régularité de l’élection
présidentielle, et en particulier de l’article 50 de l’Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel rendu applicable à l’élection du Président de la République par le III. de l’article 3 de la Loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du
Président de la République au suffrage universel, n’a jamais été mis en œuvre et dépend largement de l’appréciation - naturellement subjective en contentieux électoral - des membres de cette institution. Il n’en demeure pas moins que des circonstances tout à fait exceptionnelles pourraient
sérieusement donner l’occasion au Conseil constitutionnel de l’utiliser, dans un contexte de rebond épidémique, essentiellement si la période de campagne officielle et les opérations de vote se déroulent en période d’état d’urgence sanitaire, ce qui est loin d’être improbable.

Des aménagements indispensables à la bonne tenue du scrutin

Pour éviter un fort taux d’abstention qui pourrait être, le cas échéant, la conséquence d’une situation sanitaire particulièrement dégradée au mois d’avril 2022, il serait souhaitable, d’abord, de reconduire certaines des modifications qui ont été spécialement apportées par le législateur et le
pouvoir réglementaire au déroulement des dernières élections municipales, départementales et régionales. Il s’agit, notamment, de permettre que puissent être établies en France deux procurations maximum par mandataire (à compter du 1er janvier prochain, le mandataire n’est déjà plus obligé d’être inscrit sur la liste électorale de la même commune que son mandant), de simplifier les conditions dans lesquelles les officiers de police judiciaire doivent se déplacer directement au domicile des personnes qui en font la demande pour établir ou retirer ces procurations et de limiter
les risques de contamination au sein des bureaux de vote par l’installation de protections adaptées et la fourniture de masques et de gel aux électeurs qui n’en disposeraient pas.
Par ailleurs, il pourrait être intéressant, d’une part, d’élargir le vivier des autorités habilitées à établir les procurations, d’autre part, de lever temporairement le moratoire de 2007 sur les machines à voter afin d’imposer leur utilisation, seulement en vue des scrutins présidentiel et législatif à venir, dans les grandes communes de plus de cent mille habitants. En effet, alors que l’obligation de détention d’un Passe sanitaire pour l’accès aux bureaux de vote a expressément et logiquement été
exclue, tant par la Loi n°2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire que par la décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021 du Conseil constitutionnel (para. 42) qui lui est associée, l’utilisation de ces machines, si elles sont régulièrement nettoyées, dans des communes aux nombreux bureaux de vote qui nécessitent toujours des moyens humains importants,
permettrait, contrairement à un dépouillement manuel des bulletins de vote, de considérablement réduire la diffusion de la Covid-19 après la clôture du scrutin. Leur déploiement paraît, en tout cas, préférable à l’instauration d’un vote par correspondance ou d’un vote par internet, ces deux modalités d’expression du suffrage posant toutes deux des problèmes majeurs de sécurité qui ne peuvent être complètement résolus à quelques mois de l’élection présidentielle, comme l’a reconnu récemment, à juste titre, le Ministre de l’Intérieur.

Le risque d’une nouvelle période d’état d’urgence sanitaire

Reste la question de savoir s’il est réellement envisageable - en pratique (en théorie, c’est possible, comme il a été dit ci-dessus) - que les opérations électorales soient annulées dans leur totalité par le Conseil constitutionnel du fait des conséquences que pourrait avoir l’épidémie de Covid-19 sur le
taux de participation.
Il convient à ce titre, d’abord, de rappeler que l’article 7 de la Constitution n’a prévu aucun seuil de participation minimal nécessaire pour que soit acquise l’élection présidentielle au premier ou au second tour. Le niveau de l’abstention, aussi élevé soit-il, n’est ainsi, par lui-même, pas de nature à
remettre en cause les résultats du scrutin s’il n’a pas altéré, dans les circonstances de l’espèce, sa sincérité. Le Conseil constitutionnel, statuant comme juge de la régularité de l’élection présidentielle, pourrait en revanche reprendre à son compte la jurisprudence que le Conseil d’Etat a
dégagé lors des dernières élections municipales pour apprécier dans quelles conditions le niveau de l’abstention dû à l’épidémie de Covid-19 avait pu être en mesure de porter atteinte à la sincérité du scrutin. La Haute juridiction administrative avait, à cette occasion, estimé nécessaire que soient établies des « circonstances relatives au déroulement de la campagne ou du scrutin qui montreraient qu’il aurait été porté atteinte au libre exercice du droit de vote ou à l’égalité entre les candidats » . On sait par la suite comment le Conseil d’Etat avait finalement7 rapidement fermé la
porte à des annulations d’opérations électorales prononcées exclusivement sur ce fondement8.

Même si, en tout état de cause, l’appréciation du caractère déterminant de ces circonstances sur les résultats de l’élection présidentielle dépendra étroitement de l’écart de voix entre les candidats, il est à redouter que l’évolution de l’épidémie devienne à ce point préoccupante - du fait sans doute de la diffusion rapide d’un variant plus contagieux ou plus résistant aux vaccins9 que le variant Delta - qu’elle contraigne le pouvoir exécutif à prendre des décisions qui risqueront d’altérer la sincérité des opérations électorales.

Il pourrait en être ainsi par exemple si, quelques semaines avant le scrutin, des mesures de police administrative avaient pour effet de limiter à nouveau la tenue des meetings électoraux à un certain seuil de personnes présentes (pour les dernières élections départementales et régionales, un seuil maximal de 50 personnes avait été instauré). Selon le seuil et les modalités retenus, cela pourrait en effet porter atteinte à l’égalité entre les candidats. Enfin, le rétablissement d’un couvre-feu voire d’un confinement - même souple - serait susceptible d’exercer, quand bien même un motif de sortie permettrait aux électeurs de pouvoir se rendre au bureau de vote, une pression excessive sur ces derniers dans des conditions limitant le libre exercice de leur droit de vote. Le Gouvernement serait donc bien avisé de créer les conditions (maintien des gestes barrières et des tests gratuits) de nature à le dispenser d’avoir à déclarer de nouveau l’état d’urgence sanitaire au début de l’année 2022…

1François GREGOIRE, « Présidentielle 2022 : quelles solutions si le Covid est toujours présent ? ».
2Intervention du porte-parole du Gouvernement, Gabriel ATTAL, à l’issue du Conseil des ministres du 13 juillet 2021.
3Voir notamment Loi n° 2020-760 du 22 juin 2020, s’agissant des élections municipales et communautaires, et Loi n° 2021-191 du 22 février 2021, s’agissant des élections départementales et régionales.
4Paul TURBAN, « Covid : pas de retour à la normale avant 2022, voire 2023, selon Jean-François Delfraissy »
5Voir notamment Conseil constitutionnel, Décision n° 2018-773 DC du 20 décembre 2018.
6Cette dernière possibilité a été reconnue dans Conseil constitutionnel, Décision n° 2002-111 PDR du 8 mai 2002.
7Conseil d’Etat, 1ère-4ème chambres réunies, 15 juillet 2020, n°440055.
8Voir notamment Conseil d’Etat, 1ère-4ème chambres réunies, 4 novembre 2020, n°440355 ; Conseil d'État, 4ème-1ère chambres réunies, 22 mars 2021, n°445083.
9Le Monde avec AFP, « Covid-19 : « Mu », le nouveau variant du coronavirus surveillé de près par l’OMS »

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