État d’urgence sanitaire, confinements, couvre-feu, passe sanitaire puis vaccinal… Impossible d’être exhaustif tant la liste des atteintes aux libertés publiques fut longue pendant la crise sanitaire. Bilan.
Atlantico : Quelles législations spécifiques ont été mises en place durant la pandémie de COVID-19 en France qui ont pu impacter les libertés publiques, et comment ces mesures se sont-elles intégrées dans le cadre juridique existant ?
Thibault Mercier : Impossible d’être exhaustif tant la liste est longue mais on peut bien sûr citer l’état d’urgence sanitaire “pouvant être déclaré en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population” (avec une rédaction si large on pourrait le déclarer pour un oui ou un non…), le décret geste barrière (qui vous impose de vous lavez les mains et de garder une distance de sécurité avec votre prochain – même chez vous…), le port de masque en extérieur, le confinement, le couvre-feu, et bien sur le passe sanitaire puis vaccinal.
L’Etat a déployé un arsenal pénal répressif inédit couplé à de fortes amendes et un narratif jouant sur la culpabilisation et la peur. Entre mars 2020 et octobre 2021, ce sont 11 textes législatifs qui ont été “débattus” au Parlement sous la pression de l’Exécutif, à tel point que des sénateurs ont dénoncé en juillet 2021 dans les tribunes de Public Sénat un texte adopté avec « un pistolet sur la tempe ».
Un rapport de plusieurs sénateurs, non mis en oeuvre heureusement, proposait même la saisie des comptes en banque, la désactivation du pass navigo, des amendes automatiques ou encore l’envoi d’un sms automatique en cas d’éloignement du domicile (donc la géolocalisation permanente du citoyen par l’Etat). “Si une « dictature » sauve des vies pendant qu’une « démocratie » pleure ses morts, la bonne attitude n’est pas de se réfugier dans des positions de principe, mais de s’interroger sur les moyens concrets, à la fois techniques et juridiques, de concilier efficacité et respect de nos valeurs” pouvait-on même lire dans ce rapport… !
Que penser aussi des déclarations de certains hommes politiques (comme Jean-Christophe Lagarde) qui voulait refuser les soins aux non vaccinés ? Dans la même logique interdira-t-on bientôt de soigner un obèse qui passe son temps au MacDo ?
Les mesures de contrôle imposées pendant la pandémie, telles que les confinements et les restrictions de déplacement ont-elles entraîné un renforcement du contrôle social ? Quels en ont été les impacts à long terme ? Quelles ont été les principales atteintes aux libertés publiques pendant la pandémie suite à ces décisions, notamment sur les enjeux liés au numérique ?
Cyrille Dalmont : Il est évident que la crise du Covid-19 a été l’occasion de la mise en place d’ un laboratoire grandeur nature quant à l’acceptabilité par les populations des restrictions massives de libertés. Les différents confinements, le couvre-feu, les attestations et le pass sanitaire ont remis en question l’idée même de liberté de circulation et ont conditionné la population à une forme d’obéissance administrative et numérique. Les Français se sont retrouvés soumis à un régime d’autorisation préalable pour exercer plusieurs libertés fondamentales, notamment la liberté de circulation. La liberté d’expression et d’information a également été affectée par des formes de censure concernant les remises en cause, notamment de la dangerosité de la pandémie ou du virus, de l’action du gouvernement pour lutter contre la pandémie, ou encore des priorités en matière de vaccination. L’apparition de la plateforme gouvernementale « Désinfox Coronavirus », supprimée sous la pression politique et médiatique, illustre parfaitement le principe de la censure préalable. Officiellement présentée comme un outil de « fact-checking », elle visait en réalité à filtrer et marginaliser toute information ne correspondant pas aux communiqués gouvernementaux sur la pandémie. Les grandes plateformes numériques ont subi une pression gouvernementale et institutionnelle forte pour supprimer ou déréférencer des contenus jugés contraires à la communication officielle sur la pandémie, en France comme ailleurs. De nombreux articles, vidéos et publications ont été soit effacés, soit signalés comme « suspects », parfois sans justification scientifique claire. Des chercheurs, des médecins et des journalistes ont vu leurs analyses censurées ou marginalisées, non pas pour des propos juridiquement condamnables, mais simplement parce qu’ils remettaient en cause certains choix stratégiques du gouvernement.
Le « pass sanitaire » a également constitué une atteinte majeure à la vie privée, en instaurant une obligation de prouver son statut de santé pour accéder à des espaces publics. Plus largement, la crise sanitaire a été marquée par des expérimentations inquiétantes de surveillance numérique des citoyens. Par exemple, des autorités ont envisagé, voire testé, des dispositifs technologiques permettant de détecter les regroupements interdits dans les appartements, notamment via la surveillance des flux de téléphonie mobile.
Durant la pandémie, l’interdiction des manifestations et des rassemblements a constitué une atteinte majeure aux libertés de réunion et d’association, touchant aussi la liberté syndicale. Mais au-delà de ces restrictions temporaires, la crise a surtout permis d’instituer une nouvelle norme : celle de l’autorisation préalable pour exercer certaines libertés fondamentales. Ce qui relevait autrefois d’un droit garanti est désormais conditionné à une validation administrative ou numérique. Ce basculement a été illustré par l’usage massif des QR codes, initialement introduits dans le cadre du « pass sanitaire », mais qui se sont ont ensuite déployés sur les documents d’identité. Si leur généralisation était en partie prévue avant la pandémie, la crise a permis d’accélérer leur intégration et de familiariser les citoyens à une logique de contrôle systématique.
Thibault Mercier : Il est évident que ces mesures de restrictions, et la communication du Gouvernement, ont permis le développement d’un contrôle social important sur le territoire et d’une sorte d’”état de vigilance” permanent. Chaque citoyen était incité à contrôler son prochain, voire à le dénoncer. Cela a créé une situation délétère : chaque citoyen était incité à se méfier de l’autre plutôt que de l’accueillir. C’est somme toute très contemporain, désormais chaque citoyen est considéré par l’Etat et son concitoyen comme un potentiel violeur, terroriste, harceleur et, pendant le Covid, malade pouvant vous porter la mort.
S’agissant de la contestation légale, il faut bien l’admettre malheureusement, elle a été un échec puisque les juges administratifs et constitutionnels sont venus valider l’ensemble des mesures du Gouvernement – en abdiquant l’esprit critique dont ils savent pourtant faire montre habituellement – en se fondant sur des notions aussi malléables que celles de “droit à la vie” et de “droit à la santé”. » C’est plutôt une résistance illégale qui s’est organisée avec plus de succès (faux passes, piratage de QR Code, restaurants “clandestins”).
A-t-on observé lors de la période du Covid des abus dans l’application des mesures de contrôle, notamment avec l’utilisation des auto-attestations ou des pratiques liées aux confinements sans fondements scientifiques ou juridiques, comme le fait d’avoir interdit l’accès aux plages ?
Thibault Mercier : Des chiffres disponibles dès 2021 nous montraient que 93 % des victimes du coronavirus en France avaient plus de 65 ans. Parmi elles, 65 % avaient un facteur de comorbidité. En dessous de 40 ans, sans facteur de comorbidité, le risque de mourir du coronavirus était en réalité quasi inexistant. Au vu de ces statistiques on peut admettre que beaucoup des mesures prises par le Gouvernement pour lutter contre le virus étaient disproportionnées, illégitimes voire absurdes. A quoi bon interdire l’accès aux plages (où à les désinfecter comme l’a fait le maire de Cannes ?), aux forêts, à la rue en pleine nuit ? Le Gouvernement selon moi savait pertinemment qu’une partie de ces restrictions étaient efficaces comme l’a admis (par un acte manqué) la ministre des sport en septembre 2020 en déclarant : « Les décisions, aujourd’hui, ne sont pas prises en fonction d’une réalité qui serait celle de la circulation du virus, mais pour dire qu’il faut continuer à être disciplinés comme vous l’êtes »
Cyrille Dalmont : La pandémie a donné lieu à un véritable festival d’abus administratifs, où chaque nouvelle mesure semblait rivaliser d’absurdité avec la précédente. Le régime des auto-attestations, l’interdiction d’aller sur les plages, l’interdiction de bronzer mais la possibilité de s’y promener, l’alternance absurde entre l’autorisation de prendre un café debout mais pas assis (ou inversement)…Mais au-delà du ridicule, c’est surtout la disproportion dans l’application des sanctions qui pose problème. Entre mars 2020 et juillet 2022, selon le ministère de l’Intérieur, 2,7 millions d’infractions liées au Covid ont été recensées, soit un chiffre colossal, bien supérieur à celui de nombreuses infractions pénales bien plus graves. À titre de comparaison, des faits comme la possession d’une arme blanche ou des agressions physiques et verbales ne donnent pas systématiquement lieu à des amendes ou à des poursuites. Cela traduit une logique perverse où l’État a été fort avec les faibles et faible avec les forts.Cette inégalité s’est aussi traduite géographiquement. Dans certains départements comme la Seine-Saint-Denis, les amendes pour non-respect des restrictions ont été bien moins appliquées, et les couvre-feux largement ignorés. Cette disparité montre que ces mesures n’étaient pas seulement absurdes : elles ont aussi été appliquées de façon profondément inégalitaire.
Les campagnes de vaccination ont-elles respecté les principes de liberté individuelle, ou ont-elles fait peser des contraintes trop fortes sur certains citoyens ?
Thibault Mercier : La liberté individuelle n’est pas absolue et il est normal de pouvoir la restreindre pour permettre la vie en société et mener des politiques collectives. Tout est question de proportion encore une fois. Dans le cas du Covid, ce ne sont pas seulement les libertés individuelles qui ont été attaquées mais l’ensemble de nos libertés publiques voire collectives. S’agissant plus spécifiquement de la vaccination, l’Etat a toujours déclaré que cette dernière n’était pas obligatoire et qu’il existait un droit de ne pas se faire vacciner, avant de vider ce dernier de sa substance. La contrainte était telle qu’il était quasiment impossible de résister. Est-on vraiment libre quand le refus de se faire vacciner peut vous faire perdre emploi, amis et liberté de circuler ? Consent-on vraiment librement quand on nous rebat les oreilles matins, midis et soirs avec le même sujet ? Nombre de citoyens ne se sont pas fait vacciner pour se protéger du virus mais pour se protéger de la répression et de la vindicte populaire.
Le pire étant qu’aujourd’hui il apparaît de plus en plus clairement que la justification du passe sanitaire (qui était d’augmenter la couverture vaccinale pour atteindre l’immunité collective) était fondée sur un mensonge qui ne reposait sur aucun consensus scientifique. Nous n’avons malheureusement pas beaucoup entendu les médias et le Gouvernement faire leur mea culpa depuis…
Dans quelle mesure la théorie des circonstances exceptionnelles a-t-elle été utilisée pour justifier certaines décisions pendant la pandémie ? Cette théorie a-t-elle été trop utilisée au détriment de la protection des libertés publiques ?
Cyrille Dalmont : Il est important de noter que cela ne se limite pas à la gestion de cette crise spécifique par Emmanuel Macron. Il s’agit d’un processus qui couvre une longue période, ayant commencé sous le mandat de François Hollande, notamment en matière de lutte contre le terrorisme. Les Français ont déjà vécu plusieurs états d’urgence et différents recours aux circonstances exceptionnelles. Mais avec la pandémie, un cap inédit a été franchi.
Ce qui frappe dans la gestion juridique de la pandémie, c’est l’abandon progressif des garanties protectrices des libertés publiques par les deux plus hautes juridictions françaises. Historiquement, le Conseil d’État a toujours eu une approche souple des circonstances exceptionnelles, justifiant des restrictions au nom de l’efficacité administrative. À l’inverse, le Conseil constitutionnel a longtemps été perçu comme un contrepoids, plus strict dans l’arbitrage entre l’urgence et la préservation des droits fondamentaux. Or, la crise sanitaire a fait sauter ce verrou. Pour la première fois, les deux juridictions ont validé, presque sans réserve, des restrictions massives aux libertés, alignant leur jurisprudence sur une logique de légitimation de l’état d’exception. Ce rapprochement marque une rupture inédite : ce qui relevait autrefois de mesures exceptionnelles et temporaires est progressivement devenu un mode de gouvernance normalisé. La pandémie a donc servi de précédent, ouvrant la voie à une gestion de crise où les libertés ne sont plus des principes intangibles, mais des variables ajustables selon les décisions du pouvoir exécutif.
La gouvernance française a été assurée par le Conseil de défense sanitaire, ce qui était particulièrement étrange entrainant un effacement quasi totale du Parlement, de ses représentants et des organisations de contrôle de l’État. Durant la pandémie, le pays a été gouverné par décrets et circulaires, validés systématiquement par le Conseil d’Etat tandis que la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) a alerté le gouvernement à cinq reprises, sans obtenir de réponse. Le gouvernement a donc ignoré ces alertes et a choisi une méthode de gouvernance qui semblait plaire à Emmanuel Macron, car il bénéficiait de presque tous les pouvoirs, sans que le pays ne soit en période de guerre. Un exemple frappant de cette situation a eu lieu en avril 2022, lorsque, malgré le recul de l’épidémie, le gouvernement a décidé de prolonger l’état d’urgence.
Thibault Mercier : Les circonstances sont toujours exceptionnelles pour ceux qui n’aiment pas la liberté ! Et il se vérifie d’ailleurs toujours une règle simple : les exceptions consenties dans des circonstances exceptionnelles finissent toujours par s’étendre aux circonstances ordinaires. Et on peut le remarquer puisque la “gouvernance” par l’état d’exception devient une habitude au Gouvernement : terrorisme, jeux olympiques, écologie.
L’Etat nous exproprie de nos libertés (sans indemnisation préalables) et nous les met à disposition sous conditions. Est-ce que vous êtes libre quand vous devez présenter dix fois par jour un laissez-passer et une pièce d’identité, pour prendre un café ou faire du sport ?