« La législature qui se termine marque l’effacement consenti de l’Assemblée nationale » – Entretien avec Jean Jacques Urvoas

« La législature qui se termine marque l’effacement consenti de l’Assemblée nationale » – Entretien avec Jean Jacques Urvoas

La première mandature présidentielle d’Emmanuel Macron vient de se terminer. Un état des lieux de la vitalité nos institutions doit être dressé, à commencer par le Parlement : procédure accélérée systématique, recours accru aux ordonnances, mensonges devant des commissions d’enquête parlementaire, dictat du texte à adopter par le gouvernement, constituent le lot quotidien d’un Parlement qui perd peu à peu son statut de contre-pouvoir.

Entretien avec Jean-Jacques Urvoas, ancien Garde des Sceaux et député, désormais maître de conférences en droit public à l’Université de Bretagne Occidentale.

Guillaume Leroy : La crise sanitaire a été un véritable révélateur de la vision adoptée par le pouvoir exécutif concernant le Parlement. Pouvez-vous nous livrer votre analyse sur cette période législative particulière ?

Dès 1929, Maurice Hauriou enseignait que les crises jouent comme un « verre grossissant révélant la nature véritable du gouvernement politique ordinaire ». Dans le cas d’espèce, dans son allocution du 14 juin 2020 suivie par plus 21 millions de téléspectateurs, le chef de l’État a résumé explicitement la conception qu’il se faisait du Parlement : « Le Premier ministre et le Gouvernement ont travaillé d’arrache-pied, le Parlement s’est réuni, l’État a tenu, les élus de terrain se sont engagés ». Tout était dit, l’unique vocation du Parlement était de se réunir, pas de délibérer, pas de représenter, pas de voter. Un rôle clairement formel.

Pourtant, rien ne contraignait l’Assemblée nationale à s’effacer volontairement. Elle peut donc en être blâmée. D’abord parce qu’elle n’était pas démunie d’arguments pour démontrer que des lois d’urgence successives votées tambour battant pouvaient se révéler à l’usage grevée de normes obscures ou de dispositions disproportionnées. Ensuite car elle a ainsi fait le lit de ses contempteurs qui demain expliqueront que le rythme du Parlement peut sans préjudice s’accélérer pour répondre aux attentes de la société. Enfin puisqu’elle n’a pas saisi l’opportunité de ces moments pour défricher de nouveaux espaces où son contrôle aurait pu s’épanouir, renforçant alors son utilité dans la vie publique.

Guillaume Leroy : Depuis 1958, pas moins de 23 révisions constitutionnelles ont été adoptées. Le Parlement n’a pas été épargné par ces modifications institutionnelles. Que reste-t-il du rôle fondamental du Parlement, à savoir l’élaboration de la loi ?

Depuis 1958, il n’y eut jamais de période faste pour le Palais Bourbon. Ainsi, dès le 31 juillet 1958, Marcel Prélot écrivait dans Le Monde que le projet de nouvelle constitution organisait « un pouvoir trouvant son centre de gravité hors des assemblées ». Et quelques mois plus tard, Maurice Duverger confirmait que « son second trait saillant » était « l’abaissement du Parlement ».

Reste que la législature qui se termine marque l’effacement consenti de l’Assemblée nationale.

Pour la première fois depuis la naissance du régime, le droit produit n'a pas été majoritairement issu de la loi.

Pour la première fois depuis la naissance du régime, le droit produit n’a pas été majoritairement issu de la loi. Si 230 textes (hors conventions internationales) ont été promulgués, 369 habilitations furent accordées permettant aux gouvernements de prendre 334 ordonnances. Même en retirant les 91 directement liées à la pandémie du covid-19, le solde reste en défaveur de la délibération parlementaire et impose la conclusion : plutôt que de confier la production de la norme au débat contradictoire, les gouvernements d’Emmanuel Macron ont fait écrire la loi par leurs administrations.

L’exercice de contrôle a été pareillement sacrifié. Par essence les gouvernements ne l’apprécient guère, le considérant comme une inutile entrave, ou pire, y suspectant de malveillantes intentions. Mais de l’étouffement de la commission d’enquête sur l’affaire Benalla durant l’été 2018, après quatre petits jours d’auditions, à la dissolution imposée de la mission d'information sur la crise du Covid-19 en janvier 2021, le bilan actuel frôle l’étisie. Pourquoi, par exemple, la majorité ne s’est-elle jamais intéressée au caractère de nécessité des certaines mesures restrictives des droits et libertés adoptées au nom de la lutte contre l’épidémie ?

Guillaume Leroy : L’abandon du septennat au profit du quinquennat présidentiel ne sonne-t-il pas le glas du rôle de contre-pouvoir que le Parlement endosse traditionnellement ?

Je ne considère pas que la vocation du Parlement soit d’être un « contre-pouvoir » puisqu’il est un pouvoir en tant que tel avec ses missions clairement détaillées dans la Constitution : représenter, légiférer, contrôler.

Dès lors, l’instauration du quinquennat n’est pour rien dans sa marginalisation. C’est bien plus aux parlementaires qu’il faut adresser ce reproche. Pour rompre avec cette pente qui résume le Parlement à une « entreprise de scrutin doublée d'une société de conférences » pour parler comme Edgar Faure, il suffit que les élus se décident à exercer pleinement les prérogatives dont ils disposent. Les droits ne peuvent vivre que par la volonté des hommes.

Guillaume Leroy : N’existe-t-il pas un paradoxe à ce que le Conseil Constitutionnel, non élu, puisse abroger une loi adoptée par le Parlement, dont ses membres sont issus du suffrage et à ce titre représentent la Nation ?

Nous connaissons depuis Tocqueville que l’un des risques d’une démocratie peut se trouver dans ce qu’il nomme la « tyrannie de la majorité ». Il est donc légitime qu’un organe veille à protection des libertés publiques.

S’il faut toujours se méfier du « gouvernement des juges », il faut encore plus craindre un « gouvernement sans juge »

Et s’il faut toujours se méfier du « gouvernement des juges », il faut encore plus craindre un « gouvernement sans juge » au sein duquel la force attachée à une majorité politique supplanterait celle du droit.

Guillaume Leroy : Le parti Renaissance a conditionné l’investiture de ses candidats aux élections législatives à la signature d’une charte imposant aux futurs députés de soutenir “l’ensemble des engagements pris par Emmanuel Macron” qui semble d’ailleurs contradictoire avec l’article 27 de la Constitution qui précise que « Tout mandat impératif est nul ». Qu’en pensez-vous ?

Cette démarche est classique au sein des formations politiques. Ainsi en novembre 2021, la formation de Jean-Luc Mélenchon écrivait dans son document destiné aux candidats aux législatives que ceux-ci « devront respecter la discipline de vote du groupe lorsqu’une décision collective a été prise conformément au programme l'Avenir en Commun ». De même, vous pourrez retrouver chez les Républicains, un engagement voisin puisque ces élus « s'engagent à respecter scrupuleusement (...) pour ces élections législatives et pour la suite du quinquennat, la position adoptée par [le] mouvement ».

Il faut lire ces proclamations pour ce qu’elles sont : un engagement moral n’emportant aucune conséquence juridique.

Augustin Dudermel : En 2017, Emmanuel Macron se disait favorable à la mise en place de la proportionnelle pour les élections législatives afin que : « le pluralisme soit enfin respecté au sein de notre vie publique et au Parlement ». Le projet d’introduction de ce mode de scrutin a finalement été enterré par le gouvernement mais a ressurgi à l’occasion des élections présidentielles de 2022. Cette réforme vous paraît-elle pertinente pour assurer une meilleure représentation des courants politiques du pays ?

Un mode de scrutin n’est pas simplement un outil pour assurer une équitable représentation politique, il est aussi destiné à permettre le bon fonctionnement des institutions. Dès lors, il ne me semble pas indispensable d’oublier que le « fait majoritaire » permet aux citoyens de choisir leurs gouvernants. Au soir du tour décisif, le doute n’existe pas. Tel n’est pas toujours le cas dans les pays où la représentation proportionnelle est en vigueur. Partant, Israël est un exemple parfait. Je suis donc de ceux qui ne recommande pas d’abandonner le scrutin uninominal majoritaire à deux tour s pour l’élection des députés, même s’il est toujours possible de l’amodier avec une part de proportionnelle « compensatrice ».

Merci à Jean-Jacques Urvoas de nous avoir accordé cet entretien

Laisser un commentaire

X