« Le gouvernement a délaissé les droits des personnes mourantes lors de cette crise sanitaire » – Entretien avec Laurent Frémont

Doctorant en droit public et âgé de 29 ans, Monsieur Laurent Frémont met en lumière les grands oubliés de cette crise sanitaire à travers son collectif “Tenir ta main”; à savoir les patients hospitalisés et les personnes âgées qui se sont retrouvées privés du soutien physique de leurs proches et rites mortuaires.

Maïa-Ané Joubert : Monsieur Frémont, quelles ont été vos motivations lors de la création de votre collectif « tenir ta main » ?

J’ai perdu mon père en novembre dernier. Lors de ses trois semaines d’hospitalisation, il m’a été impossible de venir le voir. Je n’ai en conséquence, pas pu faire mes adieux, ni avant ni après son décès. Lorsque je me suis rendu compte de l’absence de cadre juridique en matière de droits de visite pour les personnes mourantes, j’ai été effaré.

Opportunément, mon histoire personnelle a rejoint mon domaine de compétences, celui du droit public et des affaires publiques.

La pandémie a révélé le pouvoir discrétionnaire des directeurs des établissements de santé tant ceux provenant de l’administration hospitalière que les gestionnaires d’établissements privés.

Les directeurs de ces établissements ont abusé de leurs pouvoirs de police sans apporter la moindre justification. D’un établissement à un autre, les familles étaient ou non autorisées à rendre visite à leurs proches. Ces pouvoirs de police sont arbitraires et disproportionnés. Ils doivent faire l’objet d’un encadrement législatif pour que cessent ces abus de pouvoir.

J’ajoute que, depuis le début de cette crise, il n’y a eu aucun texte réglementaire émanant du ministre concernant le droit aux visites des proches dans les établissements de santé. 

Maïa-Ané Joubert: L'État d’urgence sanitaire a créé des situations exceptionnelles en France avec de nombreuses restrictions de nos libertés. Pour vous, quelles conséquences a eu cette crise dans les rapports sociaux ? 

A l’échelle de la société, la pandémie a réduit la vie à une conception biologique et technique. En occultant l’importance de la présence des proches dans le soin, les patients sont devenus de simples corps à soigner. Le corps médical prétend sauver des vies. Pourtant paradoxalement, il a fragilisé les vivants en les coupant des liens vitaux qui font l’essence de l’existence.

Cet éloignement a entraîné des conséquences désastreuses à la fois pour les victimes mais aussi pour les familles. De nombreuses personnes sont mortes de solitude avec le sentiment d’avoir été abandonnées. Traumatisées, les familles des victimes n’ont pas pu faire leur deuil.

Une réelle perte de confiance dans le corps médical a vu le jour. Aujourd’hui, certaines personnes refusent une hospitalisation par peur de partir seules.

Maïa-Ané Joubert: Dernièrement, le Président de la République a annoncé de nouvelles mesures gouvernementales restrictives des libertés. L’accès aux maisons de retraite et aux hôpitaux sera conditionné par la démonstration d’un test PCR négatif ou d’une vaccination. 
Que pensez-vous des nouvelles mesures prises alors que nous ne sommes plus officiellement sous l’état d’urgence sanitaire ? 

Ces mesures sont à contretemps de l’évolution de la pandémie. Celles-ci sont profondément inquiétantes puisqu’elles déterminent un statut social différent suivant l’état sérologique de l’individu. Dans le cadre précis des visites dans les hôpitaux et EHPADs, c’est un brutal retour en arrière. Le gouvernement désire imposer une vaccination obligatoire déguisée. Cette infantilisation et cette coercition sont profondément choquantes. 

En revanche, la généralisation des tests pour permettre des visites dans les meilleures conditions ne me gêne pas et permettra de désactiver les arguments de ceux qui refusent aujourd’hui l’entrée des familles au sein dees établissements.

Maïa-Ané Joubert: Avec votre collectif « Tenir ta main », qu’avez-vous réussi à mettre en place pendant cette crise sanitaire ?

Le collectif « Tenir ta main » a trois objectifs : sensibiliser l’opinion et les pouvoirs publics aux dérives éthiques auxquelles nous assistons depuis un an et demi ; faire évoluer la loi sur le droit de visite et la fin de vie ; soutenir les victimes.

La création d’un observatoire des droits de visite a permis de recueillir 10 000 précieux témoignages que nous avons fait remonter aux autorités. Nous avons donné la parole aux sans-voix en donnnat une couverture médiatique à ces histoires. Nous avons également associé le monde artistique pour faire connaître ces situations au plus grand monde (chanson de Louis Chedid, témoignages lus par de grands acteurs).

En outre, nous menons des opérations d’influence auprès des ministères, de l’Elysée, du Parlement et des fédérations hospitalières. Nous avons préparé une circulaire avec le cabinet de Monsieur Olivier Véran. Nous sommes aussi à l’origine d’une proposition de loi déposée par Bruno Retailleau  qui sera examinée en septembre 2021. Celle-ci a pour objectif d’encadrer les pouvoirs des directeurs d’établissement. Les restrictions des droits de visite doivent être individualisées, justifiées et collégiales. Nous avons lancé une pétition signée par plus de 46 000 personnes.

Enfin, le collectif « Tenir ta main » apporte son soutien aux victimes tant d’un point de vue psychologique que juridique. Un mémorial pour les victimes a vu le jour au sein de l’église Saint Sulpice et nous avons organisé un grand concert d’hommage pour soutenir les proches des victimes.

Maïa-Ané Joubert: Qu’en est-il des mesures prises au regard de la liberté religieuse et de conscience ?

Nous pouvons parler de transgressions inédites puisqu’il s’agit de la première fois dans l’histoire récente, qu’il y a eu un tel mépris pour la mort. On peut parler de réels reculs de civilisation. L’argument de notre impréparation ou de notre méconnaissance face au virus ne tient plus. 

Les défunts ont été enterrés nus dans des sacs en plastique, ce que nous n’avons jamais vu même en temps de guerre ou de graves épidémies.

Nous savons que les dépouilles n’étaient pas contagieuses et ne permettaient pas la propagation du virus. Les mises en bière immédiates n’avaient en conséquence pas lieu d’être. Pour autant, ce fût le cas tout au long de cette crise sanitaire. 

Ces comportements ont fini par être normalisés.

Il y a eu par ailleurs de nombreuses violations concernant la liberté de conscience et de religion. Les croyants se sont retrouvés privés des derniers sacrements et des rites mortuaires. Plusieurs aumôniers se sont retrouvés empêchés d’accéder aux mourants alors même que ceux-ci les réclamaient.

Maïa-Ané Joubert : La Dignité est souvent utilisée en matière de fin de vie notamment avec les lois Claeys-Leonetti dans la prise en charge du patient pour soulager sa douleur et apaiser ses souffrances. 
Quid de l’effectivité d’un tel principe au regard de l’accompagnement des mourants pendant la crise sanitaire ?

Nous avons pris avec beaucoup de violence la proposition de loi portée par Monsieur Olivier Falorni, et examinée par l’Assemblée nationale en avril 2021. Une « fin de vie digne » passe avant tout par un accompagnement du mourant par ses proches. Or, ce droit n’est toujours pas assuré aujourd’hui. Il est essentiel de soutenir le développement des soins palliatifs en France, qui restent aujourd’hui marginaux Il convient d’accompagner la personne dans toutes les dimensions, jusqu’à sa mort. Pour le reste, la loi Claeys-Leonetti répond aux principaux enjeux et permet d’éviter l’acharnement thérapeutique.

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