Le système des 500 parrainages est-il viable ?

Le système des 500 parrainages est-il viable ?

Maxence SOBRAL

Depuis le 1er février 2022, et jusqu’à début mars, le Conseil constitutionnel a régulièrement  publié sur son site internet la liste des citoyens habilités ayant valablement présenté un candidat à l’élection présidentielle des 10 et 24 avril prochains. Ces présentations, plus communément appelées « parrainages », participent au système - mis en place en 1962 - de filtrage des candidatures à l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. Pour pouvoir se porter candidat à cette élection, tout citoyen, éligible dans les conditions de droit commun, doit en effet être présenté par au moins cinq cents parrains, ces derniers devant nécessairement détenir un mandat électif parmi ceux limitativement déterminés par la loi organique.

C’est dans ce cadre que, lors d’une conférence de presse du lundi 7 mars 2022, le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, a arrêté la liste officielle définitive des candidats au premier tour de l’élection présidentielle du mois d’avril prochain. Douze candidats se trouvent sur la ligne de départ (dans l’ordre arrêté par le Conseil constitutionnel) : Nathalie Arthaud, Fabien Roussel, Emmanuel Macron, Jean Lassalle, Marine Le Pen, Eric Zemmour, Jean-Luc Mélenchon, Anne Hidalgo, Yannick Jadot, Valérie Pécresse, Philippe Poutou et Nicolas Dupont-Aignan. Certains d’entre eux s’inquiétaient, il y a encore quelques jours, de la possibilité de ne pas recueillir les cinq cents parrainages exigés[1]. D’autres candidats déclarés - ils sont nombreux - n’auront finalement pas de bulletins de vote à leur nom le 10 avril, parmi lesquels François Asselineau, qui avait pourtant obtenu ses cinq cents signatures en 2017.

Les rouages du filtre

Le filtre des cinq cents parrainages est l’un des vestiges les plus anciens de l’élection du président de la République au suffrage universel direct sous la Ve République. Simple d’apparence, il peut très vite devenir un piège à asphyxier des candidatures, comme celle, par exemple, de Christiane Taubira, vainqueur de la « primaire populaire » organisée fin janvier pour départager les candidats classés à gauche sur l’échiquier politique. Notons qu’il ne suffit pas de recueillir cinq cents présentations pour figurer sur la liste arrêtée par le Conseil constitutionnel. D’abord, en vertu du I de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 relative à l'élection du président de la République au suffrage universel, ces présentations ne peuvent être adressées que par certains élus parmi lesquels, notamment, les parlementaires, les députés français au Parlement européen, les maires, les maires délégués, les conseillers régionaux, les conseillers départementaux, les conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger et les présidents des communautés d’agglomération et des communautés de communes[2]. Puis, ces présentations doivent être issues d’élus représentant au moins trente départements ou collectivités ultramarines différents, sans que plus d’un dixième d’entre ces élus ne puisse provenir d’un même département ou d’une même collectivité ultramarine. Cette condition de répartition géographique, qui s’explique par la volonté du législateur d’éviter des candidatures régionalistes, nous paraît bienvenue dans la mesure où le candidat à la présidence de la République doit nécessairement, parce qu’il est soumis au suffrage de l’ensemble des électeurs, représenter l’ensemble du territoire.

Cette année, les parrains avaient un petit peu plus de cinq semaines pour adresser leurs présentations au Conseil constitutionnel. En effet, la période de recueil des parrainages s’ouvre à compter de la publication au Journal officiel du décret portant convocation des électeurs (cf. II. de l’article 2 du décret du 8 mars 2001 portant application de la loi du 6 novembre 1962) - elle s’est ouverte le jeudi 27 janvier - et s’achève le sixième vendredi précédant le premier tour de scrutin, à dix-huit heures, heure de Paris (cf. loi de 1962 précitée) - elle s’est achevée le vendredi 4 mars. Concrètement, les élus habilités à parrainer reçoivent de l’autorité administrative, dès l’ouverture de la période de recueil, une enveloppe postale et un formulaire unique numéroté qu’ils doivent renseigner et signer de façon manuscrite. Les parrains, qui ne peuvent présenter un candidat, le cas échéant, qu’au titre d’un seul de leurs mandats, doivent ensuite adresser eux-mêmes le parrainage par voie postale au Conseil constitutionnel, en temps utile, sous réserve de la prise en compte d’éventuelles circonstances de force majeure[3], comme une grève soudaine et massive des services postaux ou un évènement météorologique exceptionnel affectant le service de distribution des courriers. Les conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger, les présidents des conseils consulaires et les élus des collectivités ultramarines sont seuls autorisés, en raison de leur éloignement géographique de la métropole, à adresser leurs parrainages, respectivement, à l’ambassadeur, au chef de poste consulaire et au représentant de l’État, ces derniers devant notifier rapidement la présentation au Conseil. Les élus n’ont aucun droit à l’erreur : une fois envoyé ou déposé, le parrainage, même invalide, ne peut être retiré.

Par ailleurs, la communication au public du nom et de la qualité des parrains ayant régulièrement présenté des candidats à l’élection présidentielle a fait l’objet de beaucoup d’hésitations du législateur organique. Initialement, les parrainages n’étaient pas rendus publics. Puis, à partir de 1990, la communication au public, dont on trouve des traces dès 1976, a été pérennisée. Toutefois, seuls étaient rendus publics, pour chaque candidat présent sur la liste officielle, le nom et la qualité de cinq cents parrains tirés au sort parmi l’ensemble de ceux ayant présenté le candidat[4]. Ces dispositions ont été jugées conformes à la Constitution, en particulier aux principes constitutionnels d’égalité devant la loi et de pluralisme des courants d’idées et d’opinions, dans une intéressante décision du Conseil constitutionnel n° 2012-233 QPC du 21 février 2012, Mme Marine LE PEN. Le processus de transparence du système de filtrage, dit des parrainages, dans lequel s’est engagé le législateur organique a atteint un point culminant en 2016[5] : depuis l’élection présidentielle de 2017, tous les parrainages déclarés valides recueillis par des candidats, qu’ils en aient, ou non, recueillis cinq cent, sont publiés durant le délai de dépôt des présentations, deux fois par semaine, au fur et à mesure de leur réception par le Conseil ; tous les parrainages déclarés valides bénéficiant aux candidats au premier tour de scrutin sont également publiés au moins huit jours avant ce premier tour.

C’est au stade de la réception des parrainages, rue de Montpensier, que le Conseil constitutionnel va vérifier la régularité formelle des formulaires et va examiner la capacité et l’éligibilité des candidats présentés (art. 5, décret du 8 mars 2001 précité). Une fois ces opérations effectuées, le Conseil s’étant préalablement assuré du consentement à se porter candidats des citoyens présentés par plus de cinq cents parrains, il arrête, selon un ordre fixé par tirage au sort[6], la liste officielle des candidats, liste qui sera publiée au Journal officiel au plus tard le quatrième vendredi précédant le premier tour et, quand l’élection a lieu dans des conditions normales, le mardi suivant la date limite de réception des parrainages - soit ce mardi 8 mars 2022 pour l’élection du mois d’avril[7]. Le pouvoir réglementaire a ouvert la possibilité de former un recours contre la décision du Conseil arrêtant la liste des candidats : ce recours, qui n’est ouvert qu’aux seuls citoyens ayant fait l’objet de présentations, doit parvenir au Conseil au plus tard le lendemain du jour de la publication de la liste au Journal officiel. Les moyens invocables sont limités car ce recours n’a pour but que de vérifier la régularité formelle des présentations et des candidatures au regard des dispositions législatives et réglementaires applicables[8] : l’utilité de cette réclamation est donc toute relative étant donné les vérifications effectuées en amont par le Conseil constitutionnel.

Un filtre aux effets de frein ?

Cette année, 13 427[9] citoyens habilités ont valablement parrainé un candidat, soit sensiblement moins que lors des élections présidentielles de 2017 et 2012 à l’occasion desquelles, respectivement, 14 296 et 14 790 parrainages avaient été validés par le Conseil constitutionnel. Au regard de ces statistiques, on peut s’interroger sur la pertinence du maintien d’un système auquel les élus ont sans doute moins envie de participer alors qu’ils sont plus de 42 000 à pouvoir présenter une candidature.

Pensé surtout pour empêcher des candidatures farfelues, le système de présentations des candidats à l’élection présidentielle semble avoir atteint certaines limites. Nous pensons ainsi que c’est d’abord la publication intégrale par le Conseil du nom et de la qualité de tous les citoyens ayant valablement présenté un candidat à l’élection du président de la République qui a été de nature à inciter certains élus, parmi ceux habilités par la loi organique, à ne plus remplir de parrainage, par peur du chantage ou des pressions politiques. En ce sens, certains maires, en off, ont par exemple pu affirmer qu’ils n’étaient pas en mesure de donner, en vue de l’élection du mois d’avril prochain, leur parrainage au candidat de leur choix par crainte d’une baisse des subventions pour projet attribuées à leur commune par la communauté de communes, le département ou la région. Ces pressions, si elles sont avérées, sont d’autant plus regrettables que ce sont souvent les parrainages de maires de petites communes rurales, presque toujours sans étiquette politique, qui sont décisifs pour certains candidats.

Face aux difficultés rencontrées par certains candidats pour recueillir les cinq cent présentations, le président du Modem, François Bayrou, pour prévenir un éventuel « scandale démocratique », a pris l’initiative de créer, au début du mois de février, une « banque des parrainages »[10] censée exhorter les maires à présenter les candidats en difficulté obtenant plus de 10% des intentions de vote dans les sondages, ce qui concernait alors Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Eric Zemmour. Lui-même a donné son parrainage à la candidate du Rassemblement national quand d’autres maires, partageant l’idée ainsi véhiculée, ont également parrainé des candidats situés à l’opposé de leur bord politique. Tel est le cas, notamment, du maire de Cannes, David Lisnard, qui a présenté Jean-Luc Mélenchon. Par ailleurs, certains maires ont eu l’idée, par souci démocratique, d’organiser dans leur commune une consultation locale pour déterminer le candidat présenté. Les présentations remplies à la suite de ces consultations n’ont cependant pas toutes été validées par le Conseil constitutionnel : si le parrainage du maire de Montfermy (63) a bien été pris en compte, il en a été autrement, par exemple, et pour des raisons que nous ignorons pour l’heure, de celui du maire de Bouc-Bel-Air (13), qui avait organisé une consultation limitée aux habitants, et de celui du maire de Bry-sur-Marne (94)[11] qui avait organisé un sondage sur Twitter (nous en saurons sans doute plus quand le Conseil livrera ses observations sur l’élection). Enfin, moins surprenant, les présentations dont le candidat a été choisi par le maire par tirage au sort n’ont pas été validées, ce mode de désignation étant jugé « incompatible avec la dignité qui sied aux opérations concourant à toute élection » comme l’avait déjà rappelé le Conseil dans ses observations sur l'élection présidentielle de 2007.

Le parrainage citoyen, une idée qui s’installe

Les nombreuses critiques émises contre le système des cinq cents parrainages nous donnent l’opportunité d’examiner les alternatives qui permettraient de le remplacer à l’horizon de l’élection présidentielle de 2027. A première vue, la première solution qui permettrait de s’assurer que des candidats de poids dans l’opinion publique puissent effectivement se porter candidats serait d’abaisser le nombre de présentations requis pour figurer sur la liste arrêtée par le Conseil constitutionnel. Cependant, cette solution ne tient pas compte de la crise démocratique que traverse notre pays depuis quelques années et qui se traduit par une abstention massive aux élections politiques. D’aucuns - notamment des personnalités politiques comme Jean-Luc Mélenchon[12] mais aussi des universitaires comme Romain Rambaud[13], professeur de droit public à l’Université Grenoble-Alpes - pensent donc que l’instauration d’un parrainage citoyen serait une mesure efficace pour redonner un souffle démocratique à l’élection du président de la République.

Le parrainage citoyen permettrait de donner aux électeurs - et non plus seulement à certains élus - la capacité de présenter un candidat à l’élection présidentielle. En ce sens, ce système responsabilise les électeurs en leur donnant la possibilité de faire ou défaire une candidature. Il aurait, en outre, l’avantage de refléter assez fidèlement les tendances d’intentions de vote exprimées dans les sondages en faveur des candidats déclarés. Mais l’efficacité de ce type de présentation dépend étroitement de ses modalités d’application. Le président de la France insoumise avait proposé un seuil de 150 000 électeurs, répartis dans au moins trente départements et collectivités ultramarines différents. Assurément, ce seuil permettrait de conserver la solennité qui sied à l’élection présidentielle en concrétisant la candidature des seuls candidats les plus sérieux. Mais, ce seuil n’empêcherait probablement pas, à lui seul, l’élection d’être parasitée par des effets de mode temporaires et incertains. C’est pourquoi il pourrait être encore plus intéressant d’étudier la possibilité de combiner les effets du parrainage tel qu’il existe aujourd’hui avec ceux d’une présentation « citoyenne », ouverte à tous les électeurs et dotée d’un seuil raisonnable pour l’accès à la candidature.

Quoi qu’il en soit, ces changements, qui sont discutés depuis déjà assez longtemps, ne pourront voir le jour que si un fort consensus se dégage à l’Assemblée nationale pour les concrétiser. En effet, la modification du système des présentations nécessite l’adoption d’une loi organique qui, en cas de désaccord entre la chambre basse et le Sénat, ne peut se produire en dernière lecture que si l’Assemblée nationale se prononce à la majorité absolue de ses membres (art. 46 al. 3 de la Constitution). Une proposition de loi organique modifiant la loi du 6 novembre 1962 avait été examinée, sans succès, par l’Assemblée il y a quelques mois[14]. Il ne fait aucun doute que d’autres tentatives auront lieu au cours de la prochaine législature.


[1] Voir par exemple : Thibaut LE GAL, « Présidentielle 2022 : Le Pen, Mélenchon et Zemmour auront-ils leurs 500 parrainages ? ». In 20 Minutes, le 22 février 2022 à 18h40. Disponible à https://www.20minutes.fr/elections/3239631-20220222-presidentielle-2022-pen-melenchon-zemmour-500-parrainages.

[2] Liste complète précisée à l’alinéa 2 du I de l’article 3 de la loi n°62-1292 du 6 novembre 1962.

[3] Voir Conseil constitutionnel, Décision n° 2016-729 DC du 21 avril 2016, Loi organique de modernisation des règles applicables à l'élection présidentielle.

[4] Voir, pour les modalités, Conseil constitutionnel, Décision n° 81-30 ORGA du 24 février 1981, Détermination par tirage au sort de l'ordre de la liste des candidats à l'élection à la présidence de la République ainsi que de la liste du nom et de la qualité des citoyens ayant régulièrement présenté un candidat inscrit dans la limite du nombre requis pour la validité de la candidature.

[5] Voir loi organique n° 2016-506 du 25 avril 2016 de modernisation des règles applicables à l'élection présidentielle.

[6] Voir Conseil constitutionnel, Décision n° 2021-150 ORGA du 21 octobre 2021.

[7] Voir Conseil constitutionnel, Décision n° 2022-187 PDR du 7 mars 2022 (publiée au JORF du 8 mars).

[8] Voir Conseil constitutionnel, Décision n° 95-76 PDR du 9 avril 1995, Monsieur Dominique L., cons. 1.

[9] Allocution de Laurent Fabius du lundi 7 mars 2022.

[10] 20 Minutes avec AFP, « Présidentielle 2022 : Bayrou crée un site pour parrainer les candidats à plus de 10% dans les sondages ». In 20 Minutes, le 10 février 2022 à 15h12. Disponible à https://www.20minutes.fr/politique/3233363-20220210-presidentielle-2022-bayrou-cree-site-parrainer-candidats-plus-10-sondages.

[11] Cindy BONNAUD, « Le parrainage du maire de Bry-sur-Marne, issu dun vote sur Twitter, retoqué par le Conseil constitutionnel ». In Le Parisien 94, le 9 mars 2022 à 15h56. Disponible à https://www.leparisien.fr/val-de-marne-94/le-parrainage-du-maire-de-bry-sur-marne-issu-dun-vote-sur-twitter-retoque-par-le-conseil-constitutionnel-09-03-2022-J3QYGFXI7BAMZDETKRLFXHE5TI.php.

[12] Proposition issue du programme « l’Avenir en commun » de Jean-Luc Mélenchon.

[13] Proposition issue de son livre, « Refonder la Vème République en 2022. Pour une déradicalisation du régime représentatif français », publié aux éditions Point d’Orgue.

[14] Voir par exemple la proposition de la organique n°3478 « instaurant une procédure de parrainages citoyens pour la candidature à l’élection présidentielle » présentée par les députés membres du groupe La France Insoumise à l’Assemblée nationale et proposant un seuil de 150 000 parrains électeurs additionnel au seuil de 500 parrainages existant aujourd’hui.

Laisser un commentaire

X