Les mesures phares du projet de réforme de la Justice

Les mesures phares du projet de réforme de la Justice

Plus d’un milliard d’euros consacré à la Justice sur les cinq ans à venir et la création de 6 500 postes, c’est la promesse du Premier ministre Edouard Philippe.

Pour autant, les grèves prévues en France par les différents Barreaux en réaction au projet de loi de programmation de la justice 2018/2022 marquent un désaccord quasi-total des avocats envers la réforme, voir une colère plus généralisée des praticiens du droit envers la conception de la Justice du gouvernement. En effet, plusieurs mouvements de grève sont entamés, notamment à Toulouse, à Béziers. Certains magistrats, notamment Jean-Paul Jean, semblent plus prudents et se disent favorables à l’esprit de la réforme, sous réserve que les moyens soient donnés aux juridictions.

Les objectifs de ce projet sont clairs : une justice efficace, rapide, accessible à tous et ce sur l’ensemble du territoire. Cinq axes le composent :

La simplification de la procédure pénale

La réforme a pour ambition de faciliter l’accès à la Justice, notamment avec le dépôt de plainte en ligne, de supprimer les formalités inutiles et de prévoir une réponse pénale rapide. Cette dernière se réaliserait avec la verbalisation de certains délits (amende forfaitaire délictuelle pour l’usage de stupéfiants), l’extension de la formation à juge unique, le développement de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, la possibilité de ne faire appel que sur le quantum de la peine devant les cours d’assises ainsi qu’avec la création d’un tribunal criminel départemental.

C’est surtout sur la création du tribunal criminel départemental que les débats sont les plus houleux. Ils déchargeraient les cours d’assises de tous les crimes punis jusqu’à vingt ans d’emprisonnement, afin d’avoir un jugement plus rapide. L’Union Syndicale des Magistrats y est favorable, notamment parce-que les délais actuels devant les cours d’assises sont trop longs. Par ailleurs, l’engorgement des cours d’assises a mené, ces dernières années, à la pratique de la « correctionnalisation », soit la requalification de certains crimes en délits pour passer au tribunal correctionnel et être ainsi jugés plus rapidement. Des viols sont ainsi requalifiées en agressions sexuelles, les vols à main armés en vol avec violence. Dans ce tribunal criminel départemental, expérimenté à partir de 2019, cinq magistrats professionnels jugeraient alors des crimes punis de 15 à 20 ans de réclusion criminels.

Actuellement, les crimes sont jugés par six citoyens en première instance, neuf en appel, tirés au sort, qui jurent de juger de manière objective, en gardant à l’esprit le principe de la présomption d’innocence et celui selon lequel le doute profite à l’accusé. Concernant les tribunaux correctionnels, leur fonctionnement diffère puisqu’ils sont composés d’un juge et de deux assesseurs, tous professionnels.

Cela remettrait en cause le principe révolutionnaire selon lequel les crimes sont jugés par des jurés populaires et les délits par des magistrats professionnels. Il garantit une justice rendue au nom du peuple français qui se veut efficace, bien que lente puisque les décisions sont prises sur plusieurs jours. C’est aussi la garantie du principe l’oralité des débats. Henri Leclerc, avocat pénaliste, rappelle ainsi que les éléments du dossier d’instruction écrit, doivent être exposés publiquement à l’audience et soumis au contradictoire de l’audience pour peser dans le verdict, ce qui en fait des témoins nécessaires.

Selon la ministre de la Justice Nicole Belloubet, cela concerne 57% des affaires actuellement jugées aux assises et permet donc de lutter contre l’engorgement des cours d’assises et de limiter la détention provisoire. L’Union Syndicale des Magistrats se dit favorable à cette mesure, au contraire du Syndicat de la magistrature qui dénonce une « justice dégradée ». Les avocats dénoncent, eux, un projet qui n’a pour ambition que de faire des économies, alors que le temps serait nécessaire pour bien juger.

Ce lundi 19 mars, le barreau de Val-d’Oise a voté un mouvement de protestation contre ce projet. Le bâtonnier Me Eric Bourlion interroge sur la considération accordée au viol :

Le viol serait-il moins grave qu’un autre crime ?

L’objectif de célérité de la justice, exigence de la Cour européenne des droits de l’Homme, justifie t’il l’instauration de ce tribunal criminel départemental ?

Le manque de moyens (financiers et humains) justifie t’il cette réforme ?

 

La simplification de la procédure civile

Simplifier les démarches du justiciable passerait par la saisine facilitée des juridiction (l’acte unique de saisine remplacerait les cinq modes de saisine actuels tandis que la saisine d’une juridiction pourrait se faire directement en ligne), la permission de statuer sans audience si les parties sont d’accord, la possibilité de suivre par voie dématérialisée l’avancée de la procédure ainsi que la reconnaissance du caractère exécutoire de la décision de première instance permettant son exécution rapide. La réforme envisage surtout d’éviter le passage par un tribunal pour les litiges inférieurs à 5.000€ et à simplifier les divorces.

La présidente du Conseil national des barreaux Christiane Féral-Schuhl, met en garde contre « une justice sans juge ni avocat ».

Cette nouvelle justice est-elle dangereuse ?

Comment pallier aux carences de la Justice sans en diminuer la qualité ?

 

Le développement des moyens et techniques pour s’adapter à l’évolution numérique

Sur ce point, peu d’évolutions notables sont à prévoir. L’idée est d’améliorer l’aspect techniques des procédures et de rendre plus accessible la justice, notamment grâce à l’internet.

Le sens et l’efficacité de la peine

 Le développement des peines alternatives permettrait de lutter contre la surpopulation carcérale. Cela concerne la détention à domicile sous surveillance électronique, qui deviendrait une peine autonome, et les travaux d’intérêt général. Par ailleurs, la volonté est d’éviter les peines courtes.

Ainsi, il n’y aurait pas de peines d’emprisonnement inférieure à un mois. Entre un et six mois, les peines s’effectueraient hors des établissements pénitentiaires (détention à domicile sous surveillance électronique, semi-liberté, placement extérieur). Au-delà et jusqu’à un an, le bracelet électronique et la détention à domicile sous surveillance électronique ou la détention seraient favoriser. En revanche, au-delà d’un an, la peine serait exécutée sans aménagement.

Pour lutter contre la surpopulation carcérale (140% dans les maisons d’arrêts, jusqu’à 200% dans certains établissements), un programme immobilier serait mis en place pour favoriser l’encellulement individuel.

Au barreau de Toulouse, en grève les 21 et 30 mars, l’automatisation de la peine de plus d’un an inquiète.

L’automatisation de la peine contredit elle le principe d’individualisation des peines ?

Est-elle légitime ?

 

L’adaptation de l’organisation judiciaire

 Nicole Belloubet assure qu’aucune juridiction ne sera fermée, en prévoyant toutefois la fusion des Tribunaux de grande instance et des Tribunaux d’instance afin que le justiciable ne s’adresse qu’à une seule juridiction.

Selon Virginie Duval, présidente de l’Union syndicale de la magistrature, cela suppose la suppression de certains tribunaux d’instance. Les avocats craignent, eux, que cette fusion soit un outil pour que l’activité judiciaire se tourne vers les métropoles.

Par ailleurs, le gouvernement annonce la fin des partenariats publics privés, dispositif en place depuis 2006, pour la création des prisons. La Cour des comptes avait insisté dans son rapport annuel à renoncer à ce dispositif qui concerne 14 des 187 établissements pénitentiaires en France.

Les avocats critiquent surtout une réforme motivée par des objectifs financiers. Ils estiment que « La justice n’est pas une norme économique. La Justice est un pilier de l’égalité entre tous ».

 La justice peut-elle être géré comme une entreprise ?

 La méthode du gouvernement est-elle légitime ?

 Que pensez-vous de l’absence des avocats dans le processus de réforme de la justice ?

 

Par Marina Rabaud

Juriste

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