« L’instinct égalitaire naturel des corses s’oppose frontalement à l’égalitarisme où les hommes acceptent la soumission à une totalité (Etat, dictature du prolétariat) du moment qu’ils sont égaux en tout, ce qui est un frein funeste à la libération des énergies productives en tout domaine. »
Antoine-Baptiste Filippi est encore étudiant et pourtant déjà lauréat du prix Morris Ghezzi décerné par l’Université de Milan pour son ouvrage La Corse, terre de droit ou Essai sur le libéralisme latin et la révolution philosophique corse (1729 – 1804), publié aux éditions Mimésis, dans lequel il y décrit, avec une langue d’une délicatesse rare pour notre génération, le miracle survenu sur son île natale au milieu du XVIIIème siècle.
Cet ouvrage, d’intérêt notable pour qui s’intéresse au droit et, plus généralement, aux idées politiques, nous plonge dans un épisode aujourd’hui largement oublié : celui du soulèvement corse face à la domination génoise déclinante. Se rebellant dès 1729 contre l’augmentation de l’impôt prélevé par la Sérénissime, l’île devint le berceau des idées nouvelles, anticipant de loin, et même initiant le foisonnement de la seconde partie du siècle sur le continent.
En effet, si Montesquieu publie De l’esprit des lois en 1749 à Genève, le peuple Corse et Théodore Ier, le roi qu’il s’était trouvé, avaient déjà consacré le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le double degré de juridiction ou encore le contrôle de constitutionnalité. Dans son essai, Filippi souligne justement le caractère matriciel de la révolution philosophique corse et il peut être souhaité que l’ouvrage rafraichisse le regard des juristes contemporains sur des notions aujourd’hui encore particulièrement fertiles, jusqu’au principe de transparence : « Il faut que notre administration ressemble à une maison de cristal où chacun puisse voir ce qui s’y passe. Toute obscurité mystérieuse favorise l’arbitraire du pouvoir et entretient la méfiance du peuple » écrivait ainsi l’homme politique Corse Pascal Paoli en son temps.
La politique initiée alors par Théodore et poursuivie ensuite par Paoli à partir de 1755, a ceci d’original qu’elle unit physiocratie et colbertisme, protéger pour développer et laisser faire, laisser passer. Comme Guizot plus tard, les Corses ont considéré que l’impôt n’est exigible que des riches. Le régime des taxes est unifié, l’unification et la codification du droit est entreprise – ce qu’un autre Corse, dont on célèbre ces jours-ci le bicentenaire de la mort, acheva en France. Enfin, monnaie est battue.
Ces particularités sont d’autant plus remarquables qu’elles ont éclos dans un contexte respectueux des personnes, où chacun est considéré et reconnu, jusqu’aux femmes qui pouvaient être chef de famille et que le droit pénal protégeait farouchement contre toute atteinte. Pour Filippi « La Révolution corse, comme la Révolution américaine, n’ont pas divisé la société, mais ont au contraire aidé à son rassemblement et parachevé son unification, à l’inverse de la Révolution française. » Il est en effet étonnant, pour tout Français marqué par les horreurs de la Révolution, de constater combien les Corses ont su concilier avec équilibre l’égalité et la liberté, sans rien leur retrancher, bannissant en tout l’arbitraire. Enfin, terre catholique, dont la fête nationale a été fixée le 8 décembre, la Corse garantit la liberté de conscience et distingue clairement le temporel du spirituel.
Ces principes reçurent un commencement d’exécution suffisamment avancé pour qu’il nous soit possible de les admirer au gré des pages d’un essai dont la lecture fera la délectation des amoureux de notre langue, faisant découvrir une Corse en avance sur son temps et pourtant respectueuse de ses traditions et de sa culture séculaire.
Etienne Perrin pour le Cercle Droit & Liberté