Minutes de la table ronde sur l’avenir de la démocratie représentative

Minutes de la table ronde sur l’avenir de la démocratie représentative

Retrouvez le compte-rendu de la table ronde sur l'avenir de la démocratie représentative, organisée par le Cercle Droit et Liberté le 29 juin 2022. Propos recueillis par Mayeul Petitfils, étudiant en droit et membre du Cercle Droit et Liberté :

Sujet : Présidentialisme du régime, abstentionnisme, gilets jaunes – Quel avenir pour la démocratie représentative ?

Intervenants :

  • Stéphane Le Rudulier (Sénateur LR des Bouches-du-Rhône, Enseignant à la faculté de Marseille)
  • Frédéric Rouvillois (Professeur de droit constitutionnel et de droit public à l'Université Paris Cité)
  • Loïc Hervé (Sénateur UDI de la Haute Savoie)

Modérateur : Guillaume Leroy (Chargé d'enseignement à l'Université Paris II Panthéon Assas et responsable du pôle « Libertés Publiques » du Cercle Droit & Liberté)

Introduction : Un constat est dressé brièvement : la démocratie représentative ne suscite pas aujourd’hui le même engouement qu’en 1958, date de création de la Vème République. Ce phénomène se remarque au travers des chiffres de l’abstention grandissante et la demande d’une démocratie plus participative. Enfin, un marqueur nouveau du désamour croissant des français envers leur système représentatif est apparu : les violences envers les élus qui ont augmenté de 30% entre 2019 et 2020.

1ère Question : Pouvez-vous définir les éléments déterminants de la démocratie représentative ?

Stéphane Le Rudulier définit trois milieux hostiles à la démocratie :

  • Les nostalgiques des régimes autoritaires et totalitaires : 1/3 des français seraient favorables à un homme fort se passant d’élections et du parlement (enquête CEVIPOF). Ils sont par conséquent hostiles au pluralisme et aux libertés démocratiques.
  • Les radicalités : politiques ou religieuses. Milieux socio-culturels dans un processus de radicalisation. Exemple : l’islam totalitaire, la radicalité révolutionnaire (hier, dictature du prolétariat et aujourd’hui le populisme).
  • Ceux qui condamnent la démocratie à cause de ses imperfections. Intégristes de la démocratie : la représentativité trahirait le message démocratique, par la mise en avant d’intérêt contraire à celui du peuple

Le signe de l’usure démocratique est l’abstention, témoignage d’une fatigue démocratique et d’un désenchantement des citoyens. En cette année 2022, l’abstention a atteint des sommets et, pour la première fois depuis la réforme du quinquennat de 2000, cela a affecté la majorité présidentielle.

Comment la Ve République et notre démocratie représentative peuvent se défendre face à leurs adversaires ? Mécanismes de défense dans la Constitution : état d’exception, état de siège, article 16. La démocratie a des réponses institutionnelles fermes quand elle est menacée. Mais, il faut des défenses différentes. Il faut implanter une culture démocratique dans la société :

  • Par l’école : l’éducation est un lieu essentiel de l’apprentissage de la démocratie.
  • Par la diversité de l’information : pas de démocratie si infos dans les mains de quelques-uns.
  • Reconnaissance d’une opposition avec des droits réels comme le contrôle d’action de la majorité.

Est-ce que la démocratie représentative a encore un avenir ? Pour l’heure, nous ne sommes pas confrontés à la mort de la démocratie représentative en France. Toutefois, lorsqu’on analyse les trente dernières années, on aperçoit plutôt le retour des intolérances (radicalités religieuses et politiques avec le populisme notamment en Pologne et Hongrie), signe d’une déliquescence de nos institutions. Au sein de notre système, il existe des éléments pouvant faire douter de son avenir. Dans les années 1990, la doctrine majoritaire en sciences politiques mettait en garde contre la montée du populisme et de la technocratie (confier l’exercice du pouvoir aux soi-disant experts). Notre organisation institutionnelle est en permanence à réinventer car il faut éviter la dictature ou la démocratie illibérale. Notre démocratie française a évolué : démocratie censitaire aux XIXe siècle (les plus riches), puis suffrage universel masculin (pas les femmes ni les jeunes), puis suffrage féminin (1944) et suffrage es jeunes (1974). En même temps, cette évolution a été accompagnée d’une véritable révolution institutionnelle : démocratie parlementaire, démocratie présidentielle, aujourd’hui c’est mixte (parlementarisme rationnalisé). A côté de la démocratie représentative, il faut envisager la démocratie participative pour que les citoyens aient les moyens de participer au débat à une seule condition : la légitimité en dernière instance appartient toujours à la démocratie représentative. La France doit réutiliser le référendum qui est devenu une forme de plébiscite et qui n’est plus utilisé depuis 2005.

Conclusion : faire jouer le pluralisme démocratique afin de parvenir à la démocratie continue.

2ème Question : Les démocraties directes et démocraties représentatives s’opposent-elles nécessairement ?

Loïc Hervé : Il existe en effet une opposition classique entre la démocratie directe et la démocratie représentative. Mais, il y a un entre-deux : la démocratie liquide ou la démocratie participative. L’exemple est la convention citoyenne sur le climat mais seuls 2% des sélectionnés ont accepté de rentrer dans le processus.

Il faut trouver des solutions alors que les corps intermédiaires sont supprimés et que lieux du pouvoir sont remis en cause (sauf institution municipale). La démocratie locale, préservée dans la relation qu’ont les habitants avec elle, n’en demeure pas moins fragile : l’intercommunalité et la technicité des décisions prises (technicité juridique, etc.) la fragilisent.

La solution pourrait se situer dans la mobilisation de l’avis de citoyens experts dans la décision politique et le processus de réflexion politique.

3ème Question : La constitution de la Ve République révèle un paradoxe dans son article 3 : « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Qu’a choisi le constituant ?

Frédéric Rouvillois : La démocratie représentative est coincée entre deux alternatives qui sont défendues et présentées par des politiques : démocratie directe ou semi-directe alors qu’il y a dans la constitution des éléments de démocratie directe dont on ne fait rien (le référendum aux articles 11 et 89). Dans la vision gaullienne, Michel Debré et René Capitant voient le référendum comme un mode légitime et normal de l’exercice du pouvoir populaire. Finalement l’esprit de la Ve République réside dans l’expression directe de la volonté du peuple. Il en ressort bien évidemment qu’un non à un référendum entraîne une démission du gouvernement, ayant perdu la confiance du peuple.

La démocratie représentative est coincée ainsi entre démocratie directe ou semi-directe (revendication des gilets jaunes, de LFI et RN) et un autre point plus inquiétant : la démocratie participative.

La convention citoyenne sur le climat en est un exemple topique : vendue comme le nec plus ultra de la démocratie. Emmanuel Macron s’était engagé, face à cette convention citoyenne, à respecter les choix fait par leurs membres. Loin s’en faut, la convention citoyenne sur le climat fut trahie par le Président de la République. Revenons à l’historique de cette objet institutionnel non identifié :  en mai 2021, Macron lance à Strasbourg une nouvelle expérience de démocratie participative présentée comme supérieure au reste. Cette deuxième expérience est la conférence sur l’avenir de l’Europe : 800 citoyens de l’Union Européenne sont pris et répartis en 4 panels. Le Président a souhaité la mise en place d’un exercice démocratique inédit dans notre histoire et le monde. Ce caractère inédit marque la nouveauté et donc va de pair avec une certaine idée du progressisme.

La démocratie est fondamentalement une procédure dans laquelle le peuple décide souverainement de ce qui le concerne. Or, les citoyens de l’Union Européenne sélectionnés pour la conférence ne sont pas représentatifs et ne sont donc pas le peuple. En plus, ils n’ont pas le pouvoir car ils sont assistés par des experts choisis par les organisateurs de la conférence. Pour la convention sur le climat, les « experts » étaient beaucoup de think tank associés à la Macronie (fondation Montaigne, Terra Nova, etc.) ou à des lobbies (comme Soros). En réalité, ce qu’on nous vend comme démocratie est une sorte d’oligarchie épistocratique (pouvoir aux mains de quelques-uns, ceux qui savent ou sont censé savoir). Dans le cas de la conférence sur l’avenir de l’UE, qu’est-ce qui se passe ? Plusieurs panels dont les membres sont dits tirés au sort (principe démocratique chez les Grecs durant l’Antiquité). Mais, avons-nous vraiment un tirage au sort ? Non ! On veut que les différentes catégories de la population soient représentées et ces catégories ont été déterminées par les organisateurs, ceux ayant fait la méthodologie de la conférence. Par exemple, est évacuée des catégories le fait d’avoir une famille et des enfants et il y a une surreprésentation des jeunes : 33% dans les panels alors qu’ils ne représentent que 12% de la population européenne. Ce n’est pas du tout démocratique !

Vous remarquerez que je n’ai pas répondu à votre question initiale lors de mon propos mais c’est à dessein.

4ème Question : Comment redorer le blason de la démocratie représentative ?

Stéphane Le Rudulier : On peut organiser une démocratie de proximité (référendums locaux, etc.) mais à l’échelle nationale ce sera plus compliqué. Il faut en tout cas redonner au peuple la confiance envers la démocratie représentative, par l’utilisation des mécanismes inclus dans notre Constitution (référendum), sur les sujets importants. Il est nécessaire de remettre au goût du jour cet outil utilisé par De Gaulle plus de dix fois, outil inutilisé depuis 2005 (non au référendum sur la constitution européenne, constitution qui passe devant le Parlement en 2007).

Loïc Hervé : Je ne suis pas gaulliste. Je suis donc contre l’élection au suffrage universel direct du président. Pourquoi donner à un peuple régicide le pouvoir d’élire son roi ? Pour faire vivre la démocratie, il faut renforcer les collectivités territoriales, leurs prérogatives et leur organisation : il faut parachever la décentralisation.

Frédéric Rouvillois : Pour redorer le blason de la démocratie représentative, il faut d’abord reprendre conscience de ce qu’est la responsabilité politique à tous les niveaux. Les acteurs politiques doivent pouvoir rendre des comptes. Il faut réfléchir à un référendum d’initiative citoyenne (RIC) sur différents sujets : le peuple devrait pouvoir lever la main et voter sur des sujets. Une autre solution serait de réfléchir à la proportionnelle que je plaide, selon un modèle intégral. Il n’est pas normal d’avoir 30% des voix aux présidentielles pour avoir seulement huit députés. La proportionnelle serait plus juste.

Vous pouvez retrouver la vidéo de la conférence en cliquant ici

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