Une consécration de la rétroactivité de la loi pénale en matière d’infractions sexuelles ?

La Chambre Criminelle de la Cour de Cassation a rendu le 17 mars 2021 un arrêt qui marquera sûrement un tournant dans sa jurisprudence, tant par le sujet traité (les infractions sexuelles sur mineurs) que par le tabou juridique qu’elle semble remettre en cause (l’interdiction de la rétroactivité de la loi pénale). Explications :

Afin de caractériser les infractions d’agression sexuelle et de viol, il est nécessaire de démontrer que les faits ont été commis « par violence, contrainte, menace ou surprise ». Ces éléments constitutifs permettent de prouver que le consentement à l’acte de nature sexuelle n’a pas été valablement donné. 

La loi du 3 août 2018, dite « loi Schiappa » est venue apporter une précision quant à la caractérisation de ces éléments constitutifs. En effet, l’article 2 de cette loi prévoit que « la surprise et la contrainte morale sont caractérisées par l’abus de vulnérabilité » d’un mineur de moins de quinze ans, qui ne disposerait pas du discernement nécessaire pour ces actes.

Dans son arrêt du 17 mars 2021, la Chambre Criminelle de la Cour de cassation considère que cette disposition a un caractère interprétatif, tant au regard des travaux préparatoires du Parlement qu’en se fondant sur l’emploi du présent dans la rédaction de l’article 2 de la loi du 3 août 2018. Ainsi, cette disposition ne viendrait qu’apporter une précision aux infractions d’agression sexuelle et de viol. 

Ce caractère interprétatif offre à cette disposition une applicabilité rétroactive. Ainsi, la loi Schiappa peut s’appliquer à des faits commis avant son entrée en vigueur. Pourtant, il existe un principe cardinal en sciences criminelles : la non-rétroactivité de toute loi pénale qui serait plus sévère que l’actuelle. 

Or, cette loi vient précisément rendre la caractérisation des infractions d’agression sexuelle ou de viol moins laborieuse pour le ministère public. Habilement, la Cour de cassation offre ainsi une applicabilité rétroactive à une loi qui ne devrait pas l’être. 

On peut néanmoins s’interroger sur les motivations qui ont poussé les juges du Quai de l’Horloge à porter un tel coup à un des principes directeurs du Code de 1810. Le fait que cette décision survienne en pleine polémique « #Metoo Inceste » serait probablement une piste à explorer. Cet arrêt est-il basé sur un motif politique ? Les intentions des juges de la Cour de cassation ont-ils voulu donner un gage de bonne foi aux militants de ce mouvement ?

Après le secret professionnel, qui est désormais réduit à une peau de chagrin (à la suite de la décision Bismuth), et la prescription, maintenant décrite comme un moyen permettant d’échapper à sa responsabilité pénale, c’est une nouvelle digue de notre droit qui saute. Les droits de la défense existeront-ils toujours demain ? 

Laisser un commentaire

X