La vaccination obligatoire ou l’impératif de santé publique à l’épreuve du « quoi qu’il en coûte »

La vaccination obligatoire ou l’impératif de santé publique à l’épreuve du « quoi qu’il en coûte »

Retrouvez l'article de Maïa-Ané Joubert, chargé de mission au sein du Cercle Droit & Liberté, sur le site de la Revue Politique et Parlementaire en cliquant sur ce lien

Le 12 juillet dernier, le président de la République Emmanuel Macron a annoncé la vaccination obligatoire pour les soignants afin de lutter contre le variant indien de la Covid-19. Les sénateurs du groupe socialiste lui ont emboîté le pas le 31 août, et ont déposé une proposition de loi pour étendre cette vaccination obligatoire à l’ensemble des citoyens français et qui sera débattu le 13 octobre prochain à l’Assemblée.

L’objectif affiché est simple : atteindre l’immunité collective. Le débat fait toujours rage du côté scientifique, et plusieurs voix s’élèvent contre le bien-fondé sanitaire de cette mesure. Mais qu’en est-il au regard de nos libertés fondamentales ? Depuis le début de la crise sanitaire, la protection de la santé publique semble devenir la valeur suprême de notre ordre juridique, au profit de laquelle toutes nos libertés fondamentales peuvent être, sinon niées, à tout le moins fortement limitées. On remarquera pourtant que de nombreuses considérations morales, éthiques et religieuses, forgées sur le temps long, sont venues encadrer strictement la vaccination obligatoire. L’impératif sanitaire doit-il les faire voler en éclat ?

En effet de telles restrictions ne sont pas anodines et la vaccination obligatoire revêt donc un enjeu bien plus important que ce que voudrait laisser entendre le Gouvernement. Alors que chaque citoyen doit s’interroger sur l’opportunité d’une telle mesure, nous rappellerons à cet effet, l’importance des principes d’inviolabilité du corps humain et du consentement libre et éclairé.

L’inviolabilité du corps humain à l’épreuve de l’obligation vaccinale

Les expérimentations pratiquées pendant la Seconde Guerre mondiale par les médecins nazis ont été lourdes de conséquences (séquelles corporelles, psychologiques, décès, etc.). Face à ces atrocités, la communauté internationale n’a eu d’autre choix que de réagir. Ce sont les juges de Nuremberg qui ont alors énoncé les premières directives en matière d’expériences sur les êtres humains. Le Code de Nuremberg1 constituait ainsi la ferme volonté de protéger l’intégrité physique et psychologique de la personne humaine2.

Tant les textes européens3 que nationaux4 intègrent désormais le principe d’inviolabilité du corps humain dont l’énoncé est simple : « Le corps humain est inviolable. Chacun a droit au respect de son corps ». Initiée avec la loi du 29 juillet 19945, le législateur a souhaité garantir « le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie». Le Conseil constitutionnel a, à ce titre, affirmé que « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle6».

Un principe qui connaît des exceptions

Comme tout principe, celui-ci n’est pas absolu et des tempéraments existent. Y porter atteinte n’est cependant possible que par l’intervention du législateur (qui est le seul pouvoir habilité)7. En pratique, c’est donc le Parlement qui, seul, peut imposer la vaccination à la population française. Il lui incombe de déterminer les vaccins indispensables pour la protection de la santé individuelle et collective8. Après avis de la Haute Autorité de Santé, le ministre des Solidarités et de la Santé élabore et fait appliquer en pratique, par décret, la politique de vaccination votée par le Parlement.

Ainsi, l’obligation vaccinale n’est pas nouvelle dans notre droit puisque, dès 1902, elle a été imposée aux enfants pour lutter contre la variole.

Ont ensuite suivi les vaccins antidiphtériques, antitétaniques et antipoliomyélitiques. Les parents qui refusaient de se plier à cette exigence légale, s’exposaient d’ailleurs à de lourdes sanctions pénales (six mois d’emprisonnement ainsi qu’une amende de 3 750 euros9).

Etat des lieux de la jurisprudence française et européenne

Le juge constitutionnel a bien plus tard eu l’occasion de se prononcer sur la légalité de cette mesure : à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité, et dans une décision importante du 20 mars 201510, les Sages ont ainsi rappelé la constitutionnalité de l’obligation vaccinale dans un objectif de protection de la santé publique. Selon le juge constitutionnel, il est « loisible au législateur de définir une politique vaccinale afin de garantir une protection pour la santé individuelle et collective ». Pour ces trois vaccins, l’impératif de la santé publique a donc primé sur le principe d’inviolabilité du corps humain.

C’est aussi en ce sens qu’en 2019, le Conseil d’Etat a admis l’extension du nombre de vaccins obligatoires pour le mineur dès lors que celle-ci était justifiée par « des considérations de santé publique et proportionnée à l’objectif poursuivi. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre la contrainte […] et le risque présentés par la vaccination […] compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l’efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu’il peut présenter »11. En effet, le débat en matière de vaccination obligatoire est réapparu en France à la lueur de la loi du 30 décembre 201712 (dite loi Buzyn) et de son décret d’application, du 25 janvier 2018. La loi était alors venue imposer à l’enfant tout juste sorti du ventre maternel, onze vaccinations. La plupart de ces vaccins avaient alors leur utilité pour la protection des enfants, (comme la maladie mortelle de la coqueluche) ce qui a probablement permis au Conseil d’Etat de valider ce décret. Certains cependant étaient, semble-t-il, moins indispensables : le taux de létalité imputé par l’hépatite B et C entre 2004-2005 était ainsi de 2,2 pour 100 000 (selon les chiffres enregistrés par Santé publique13).

En ce qui concerne le droit européen, les juges de Strasbourg ont pu préciser que la vaccination obligatoire s’analysait comme un traitement médical non volontaire constituant « une ingérence dans le droit au respect de la vie privée dont la sphère recouvre, au sens de l’article 8 de la CEDH, l’intégrité physique et morale d’une personne14 ». Dans sa dernière décision en matière d’obligation vaccinale sur mineurs du 8 avril 2021, la Cour a néanmoins affirmé que l’existence d’une telle ingérence était nécessaire dans une société démocratique au nom de la santé publique. La CEDH s’est ainsi fondée sur un impératif de « solidarité sociale »15. Quoi qu’il en soit, les juges ont précisé que cette mesure de vaccination devait rester proportionnée au but poursuivi.

Cette décision doit-elle être prise en compte au vu de l’obligation vaccinale qui semble être en passe d’être imposée en France dans les prochaines semaines ? Pour certains, l’attitude de la Cour se veut prudente en ne faisant aucun parallèle avec une possible vaccination obligatoire contre la Covid 19. D’autres soutiennent au contraire qu’il s’agit là d’une feuille de route offrant un cadre juridique pour l’obligation vaccinale contre la Covid-19 compte tenu de la formation solennelle de la Cour et de l’actualité sanitaire.16

L’obligation vaccinale contre la Covid19 sera-t-elle proportionnée ?

Pourtant, une vaccination obligatoire à « tout prix » pourrait paraître excessive et interpeller au regard dudit principe d’inviolabilité et des taux de mortalité désormais bien connus de la maladie en France. Un taux de mortalité de 0,17 % justifie-t-il la vaccination obligatoire de tout un chacun ?17.

L’obligation vaccinale contre la Covid-19 de l’ensemble de la population française apparaît donc disproportionnée.

A fortiori, la vaccination obligatoire des plus jeunes contre la Covid19 semble plus que démesurée. La communauté scientifique s’accorde en effet (et c’est rare) pour affirmer que les enfants sont épargnés par le virus, et c’est la raison pour laquelle l’Organisation mondiale de la santé déconseille de leur imposer le vaccin18. La France ne l’a ainsi pour le moment pas imposé aux plus jeunes même si le passe sanitaire, qui n’est autre qu’une vaccination obligatoire indirecte, s’impose aux adolescents âgés de 12 ans depuis la fin septembre19. Le Gouvernement enchaîne d’ailleurs les mesures permettant de faciliter leur vaccination puisque la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire prévoit ainsi que l’autorisation parentale n’est pas requise pour les mineurs de plus de 16 ans ; ces derniers pouvant décider seuls de se faire vacciner contre la Covid19 (dérogeant ainsi aux dispositions prévues par l’article 371-1 du Code civil20). En cas de parents divorcés, l’un des parents peut ainsi légalement autoriser la vaccination de son enfant mineur sans requérir l’autorisation de son ex-conjoint.

Au vu de ces quelques éléments, on remarque aisément que le principe d’inviolabilité du corps humain, garde-fou important de notre droit, serait grandement mis à mal par cette obligation vaccinale anti-Covid.

Et ce principe n’est d’ailleurs pas le seul à venir encadrer drastiquement la vaccination obligatoire. Celui d’un consentement libre et éclairé doit également être pris en compte.

Consentement et l’obligation vaccinale

Auparavant, la recherche du consentement libre et éclairé du patient n’existait que sous la forme d’une obligation déontologique du médecin21. Il faudra attendre la loi dite « Kouchner » du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé pour venir l’encadrer juridiquement. En effet, cette loi est venue ériger la protection de la santé comme droit fondamental tout en forgeant un droit au respect de la dignité de la personne malade. Pour instaurer une « démocratie sanitaire » et améliorer le système de santé, le législateur va donc consacrer des droits pour les patients dont celui du « consentement libre et éclairé aux actes et traitements qui lui sont proposés ». Désormais codifié au sein de l’article L.1111-4 du Code de la Santé Publique, ce principe signifie que « toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement […] Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ».

Tout acte médical (dont la vaccination) relève donc d’un choix personnel et doit être réalisé en pleine connaissance de cause. Plus précisément, l’article R.4127-35 du CSP rappelle l’obligation mise à la charge du médecin pour délivrer une information loyale, claire et appropriée sur « les risques aussi bien prévisibles qu’exceptionnels, liés à la vaccination ». Le consentement de l’intéressé doit être recueilli par le médecin lors d’une consultation pré-vaccinale après avoir obtenu ces informations. Or, pouvons-nous parler de consentement libre et éclairé au vu de la communication du Gouvernement et des médias, du jeu sur la peur (nombre quotidien des décès) et avec un Président dénonçant «l’irresponsabilité et l’égoïsme » des non-vaccinés22. Certains commentateurs politiques se hasardant même à traiter les Français, d’« enfants gâtés23 ». Peut-on dès lors consentir librement ? Les pressions sociales ne biaisent-elles pas la réalité de ce consentement ?

La vaccination obligatoire anti-Covid : une exception ?

Quoiqu’il en soit, notons qu’une infime partie de pays (Tadjikistan, Turkménistan et le Vatican24) a mis en place une obligation vaccinale contre la Covid19.

Exigée, celle-ci ne laisse plus aucun choix à l’individu.

En France, le Président de la République a franchi le Rubicon en imposant l’obligation vaccinale pour les soignants et les non soignants travaillant au contact des personnes âgées ou fragiles pour prétendre à une rémunération. Mais comme évoqué en introduction, la proposition de loi instaurant la vaccination obligatoire contre le SARS-Cov-2 pour tous est actuellement en discussion devant le Parlement25. Celle-ci viserait à « sortir d’une politique sanitaire et entrer enfin dans une politique de santé publique clairement assumée »26. La machine est en branle et le débat risque de faire rage ces prochaines semaines.

Nous ne pouvons donc qu’appeler nos concitoyens et élus à ne pas céder aux sirènes de l’immédiateté et de la peur. Une telle décision se doit d’être discutée démocratiquement, par un débat parlementaire et médiatique le plus apaisé possible, à l’inverse du bonus dolus actuellement opéré par le Gouvernement et certains journalistes.

Maïa-ané Joubert
juriste

  1. Jugement des 19 et 20 août 1947 prononcé à Nuremberg 
  2. https://www.erudit.org/fr/revues/rgd/1994-v25-n2-rgd04321/1056325ar.pdf 
  3. Selon l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants »
  4. Articles 16-1 du Code civil : « Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial »
  5. Loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain
  6. Cons. constit. déc. n°94-343/344 du 27 juillet 1994 
  7. Article 34 de la Constitution
  8. Article L 3111-1 du Code de la Santé Publique
  9. Ancien article L 3116-4 du CSP : « Le refus de se soumettre ou de soumettre ceux sur lesquels on exerce l’autorité parentale ou dont on assure la tutelle aux obligations de vaccination prévues aux articles L. 3111-2, L. 3111-3 et L. 3112-1 ou la volonté d’en entraver l’exécution sont punis de six mois d’emprisonnement et de 3 750 Euros d’amende »
  10. Cons. constit. déc. n°2015-458 QPC du 20 mars 2015
  11. Décision Conseil d’État, 1ère – 4ème chambres réunies, 06/05/2019, n°419242
  12. Loi du 30 décembre 2017 sur le financement de la sécurité sociale pour 2018
  13. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/hepatites-virales/hepatites-b-et-d/articles/donnees-de-mortalite-liee-a-l-hepatite-b
  14. CEDH, 9 juill. 2002, Salvetti c.Italie , req. n° 42197/98
  15. CEDH, gde ch., 8 avr. 2021, n° 47621/13, affaire Vavřička et autres c. République tchèque
  16. https://www.francetvinfo.fr/sante/vaccins/la-cour-europeenne-des-droits-de-l-homme-juge-que-la-vaccination-obligatoire-est-necessaire-dans-une-societe-democratique_4364245.html?fbclid=IwAR07lbL9kQb8iC5AyojoaGyEAZIg_-EDKaMqtcI5r3Jy1096oTDSLlbcGVQ
  17. https://www.santepubliquefrance.fr/dossiers/coronavirus-covid-19/coronavirus-chiffres-cles-et-evolution-de-l a-covid-19-en-france-et-dans-le-monde#block-266151
  18. https://www.lefigaro.fr/flash-actu/covid-19-l-oms-critique-la-strategie-des-pays-riches-et-appelle-a-ne-pas-vacciner-les-plus-jeunes-20210728
  19. https://www.ladepeche.fr/2021/09/08/le-pass-sanitaire-sera-finalement-obligatoire-pour-les-adolescents-a-partir-de-12-ans-et-2-mois-9777122.php 
  20. L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne
  21. https://www.lci.fr/societe/consentement-eclaire-quelle-est-cette-loi-kouchner-a-laquelle-les-antivax-font-reference-2191533.html
  22. https://www.nouvelobs.com/vaccination-anti-covid-19/20210725.OBS46904/macron-denonce-l-irresponsabilite-et-l-egoisme-des-antivaccins.html 
  23. Olivier Babeau, «Oui à l’obligation vaccinale pour retrouver notre liberté et notre prospérité!», Tribune publiée au FigaroVOX le 5 septembre 2021
  24. https://www.ouest-france.fr/sante/vaccin/covid-19-quels-sont-les-pays-ayant-deja-mis-en-place-la-vaccination-obligatoire-d65dafb8-e3c4-11eb-b87a-1551c9be1e86
  25. https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/vaccination-obligatoire-contre-le-covid-19-les-senateurs-ps-deposent-une
  26. http://www.senat.fr/leg/exposes-des-motifs/ppl20-811-expose.html 

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