Le secrétaire d’état à l’égalité hommes-femmes, Marlène Schiappa, s’était insurgée il y quelques mois de l’acquittement de majeurs poursuivis pour viol sur mineur. Dans deux affaires, l’absence consentement n’ayant pu être prouvée, la qualification de viol n’avait pas été retenue.
Nous avions déjà traité ici de la distinction de trois infractions. La plus générale est l’atteinte sexuelle. Lorsqu’elle est accompagnée de « violence, contrainte, menace ou surprise » l’atteinte est une agression (art 222-22 Code pénal). Si l’agression entraine pénétration, il y a viol (15 ans de réclusion, art 222-23 Code pénal).
Commise sur un mineur de moins de 16 ans, l’atteinte sexuelle est punie de 5 ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende (art 227-25 Code pénal). Cette infraction est constituée indépendamment du consentement des parties. Dans une série de circonstances aggravantes, la sanction est même majorée à 10 ans et 150.000 euros (art 227-26 Code pénal)
Les propositions du gouvernement
Le gouvernement proposait initialement un âge sous lequel l’absence de consentement serait irréfragable, afin qu’un majeur encoure de façon automatique 15 ans de réclusions criminelles. En d’autres termes, il s’agissait de qualifier de viol toutes relations sexuelles avec un mineur de 15 ans, même consentant, y compris, donc, si le majeur était de bonne foi ignorant de ce fait.
Se posaient alors la question de l’âge « plafond », et la problématique d’adapter une loi, forcément générale, à la multitude de situations de faits envisageables. Le gouvernement avait pensé à un seuil de 13 ans. Il l’a poussé jusqu’à 15 sous la pression.
Mais le Conseil d’Etat craignait qu’une qualification automatique en viol n’ampute de trop grands principes : la commission d’un crime ne supposerait plus l’ « intention coupable », et les droits de la défense seraient réduits à bien peu. Pour cette dernière raison, il était aussi à craindre une censure du Conseil Constitutionnel.
Quant au Sénat, finalement non suivi, il proposait une présomption simple de non consentement.
La loi votée mardi dernier en procédure accélérée et ses critiques
Sur ces questions, la loi vient modifier deux articles. D’une part, qu’il y ait consentement ou non, les relations sexuelles avec pénétration avec tout mineur de 15 ans sont, en soi, une atteinte sexuelle aggravée au titre de l’article 227-26 ci-dessus mentionné. La sanction est de 10 ans, et non plus de 5.
D’autre part, en cas de viol, le non consentement « [pourra] résulter de l’abus de l’ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir à ces actes ». La question que se posait déjà le juge, à savoir « La victime pouvait-elle donner son consentement ? » est consacré dans la loi.
Mais l’apport fondamental de cette loi est probablement la modification de l’article 351 du Code de procédure pénale qui prévoit désormais que si la défense parvient à échapper à la qualification de viol sur mineur de 15 ans, en prouvant qu’il y avait consentement, « le président doit poser la question subsidiaire de la qualification d’atteinte sexuelle […] si l’existence de contrainte […] a été contestée au cours des débats». Cette condition de contrainte constatée, qui modère de façon importante le dispositif, n’empêche pas que cette règle procédurale aurait évité un acquittement, comme survenu dans une des deux affaires ci-dessus mentionnées.
Le collectif « F » crie avec la gauche à une « correctionnalisation massive du viol ». Ils craignent que le ministère public ne préfère poursuivre sur le fondement de l’atteinte sexuelle des faits relevant matériellement du viol afin de s’assurer une condamnation. C’est mal comprendre le dispositif de requalification : s’il y a rapport sexuel avec pénétration entre mineurs de 15 ans, même s’il y consent, et majeur, l’atteinte sexuelle aggravée est constituée. Le majeur encourt 10 ans de prison. En revanche, il y a bien crime de viol si aux mêmes faits s’ajoute le non consentement prouvé (présomption d’innocence oblige). Contrairement à ce qui a pu être dit sous l’impulsion d’émotions, le viol reste un crime et sa définition, comme sa peine, ne sont pas modifiées.
La loi « contre les violences sexuelles et sexistes »… est-elle sexiste ?
Silence est fait sur un autre point de la loi, un peu fourre-tout, qui créé pourtant l’ « outrage sexiste » pour incriminer le « harcèlement de rue ». Outre le fait que la loi n’est pas faite pour pallier une absence d’éducation, se pose la question de la redondance des normes pénales et d’une inflation législative due à des lois plus symboliques que nécessaires ou effectives.
Plus grave, la dénaturation des termes laisse comme un soupçon de démagogie. C’est ce qu’a souligné le député Emmanuelle Ménard qui propose de supprimer le mot « sexiste » du titre de la loi, puisque selon elle :
« La définition donnée par le ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, relève d'un parti pris idéologique qui définit le sexisme comme « une idéologie qui repose sur l’idée que les femmes sont inférieures aux hommes » alors que, « le sexe n’est, à ce jour, ni l’apanage de l’homme, ni l’apanage de la femme : il est bien un « caractère physique permanent » de la personne. C’est pourquoi il faudrait préférer une définition plus juste du sexisme, celle d’une « attitude discriminatoire fondée sur le sexe ». Les hommes comme les femmes, dès lors, sont concernés. »
Opposer femmes et hommes, plutôt qu’opposer victime et comportement prohibé, ne doit pas être le propos d’une loi qui vise avant tout à protéger la partie faible, quelle qu’elle soit.
Par Ivan Aubert
Juriste, responsable du CDL Strasbourg