juin, 2017

20171juin18h00- 20h00Common law / droit russe : perspectives comparées en droit des affaires

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Détails de l'évenement

Présentation de l’évènement : Dans un contexte de mondialisation des échanges et de durcissement des réglementations économiques, le Cercle Droit & Liberté et le Cercle Pouchkine a organisé un débat : « Common law / Droit russe : perspectives comparées en droit des affaires » où sont intervenus Maître Catherine Joffroy, avocat associé du cabinet Dentons et spécialisée depuis 1990 dans le conseil aux entreprises françaises investissant dans la CEI et Maître Antoine Adeline, avocat associé du cabinet Squire Patton Boggs et spécialiste du droit des pays de Common law.

Plus d’une centaine de personnes étaient présentes le jeudi 1er juin 2017 à 19H à la Bibliothèque de l’Ordre, Palais de Justice 4 boulevard du Palais, 75001 Paris pour écouter nos deux intervenants.

Vous pouvez retrouver le compte rendu écrit de ce débat ci-dessous

 


Maître Antoine Adeline – Alors qu’en France, c’est la culture qui est moteur et phare du point de vue de l’étranger, pour ce qui est de l’étranger, en ce qui concerne l’Angleterre, il s’agit beaucoup plus de références à la Common Law, à une certaine justice, à une certaine tradition. Cela m’amène à quelques rappels très courts sur le contexte institutionnel : une très vieille démocratie, un parlementarisme fort – on connaît l’anglophilie, pour ne pas dire manie, de Voltaire, de Montesquieu au XVIIIème siècle. Londres et Guernesey ont été, avant d’être des lieux d’optimisation fiscale, des lieux d’asile pour les souverains français en exil ou pour des grands poètes et à ce titre Chamfort avait eu cette phrase assez injuste et cruel je trouve :

« Les anglais vénèrent la loi et méprisent l’autorité, et les français c’est l’inverse. »


C’est un peu méchant mais cela vient d’un français. Une très vieille démocratie nous disions, la Magna Carta remonte à 1215 et Jean Sans Terre qui garantit la liberté religieuse, la levée de l’impôt sous certaines conditions, et enfin le droit de ne pas être arrêté de façon arbitraire avec l’Habeas Corpus Act.

​Si on a s’amuse à regarder les chiffres, on constate que le budget de la Justice est de 0,22 % du PIB pour la France et 0,42 % pour le Royaume-Uni en 2014.

​Une remarque sociologique importante : dans la société anglaise, le droit est un levier très important. Il y a des law reports tous les jours. Dans Le Monde ou Libération, ces romans judiciaires seraient assez exotiques. Pareil pour le cinéma, où le Drama est un genre en tant que tel. Alors que chez nous, la République des avocats, c’était la IIIème République, il y a bien longtemps. De l’autre côté de la Manche, le droit et la justice sont des thèmes prégnants et les juristes sont craints comme partout, mais secrètement admirés.

Voilà pour le contexte historique. A savoir qu’il n’y a pas d’ancien droit anglais, un jugement de 1342 disait ainsi :

« Nous ne pouvons ni ne voulons changer les anciens usages. »
The Prior of Bermondsey v. The Parson of Fivehead, 1342


​La Common Law étant, je le rappelle, un ensemble de pratiques et coutumes non écrites, le juge étant un oracle du droit.

Dernière remarque académique, une belle métaphore de Sir Matthew Hale qui écrit sur cette différence d’avec la France dans la connaissance d’un ancien et d’un nouveau droit en se référant au récit des Argonautes : si toutes les parties de la nef Argo ont été remplacées pendant son périple, il n’en demeure pas moins que le vaisseau conserve son identité d’origine. Il en va de même pour la Common Law, qui malgré les retouches successives des règles jurisprudentielles reste la même tout en changeant.

Deuxième point important, c’est le système de precedents, et la distinction faite entre d’un côté le ratio decidendi et de l’autre, les commentaires qui sont faits dans le cadre de jugements et qui rappellent d’ailleurs les sentences arbitrales de la Cour de Cassation et qui vont permettre, le cas échéant, d’éclairer les juges dans d’autres décisions. Cette spécificité fait que c’est par des faits qu’on arrive au droit. C’est un droit stare decisis qui part de la base, un peu comme le droit romain. On n’a pas un droit qui part des principes juridiques pour aboutir à une application. Tocqueville disait à cet égard :

« Les Anglais me paraissent avoir une grande difficulté à saisir les idées générales et indéfinies.
Ils jugent parfaitement bien le fait d’aujourd’hui, mais la tendance des faits et leur conséquence
éloignée leur échappent. »
Tocqueville, De La Démocratie En Amérique, 1835


​Ce n’est pas totalement faux. La philosophie du droit anglais est très différente de la philosophie du droit français, ce que synthétisait de façon très pragmatique Pollock :

« Le droit n’existe pas pour la satisfaction scientifique de l’esprit juridique,
mais pour la commodité des profanes qui poursuivent et se font poursuivre en justice. »
Frederick Pollock, Lettre de Pollock à Holmes, 26 juillet 1877


​Voilà une belle approche qui remet bien les choses en place.

Qui dit droit anglais dit également juristes. Là encore, on pense à Oxford et Cambridge, qui aspirent des millions d’étudiants à l’étranger. Mais au-delà de cela, pour les juristes anglais en tant que tels, ce sont des études difficiles, qui ont tendance à attirer les meilleurs. Sans vouloir faire de french-bashing, je me permettrai de dire que ce n’est pas le cas en France. En tout cas par rapport au moment où j’ai prêté serment, les choses ont bien changées. Et même si depuis 30 ans, les études de droit sont devenues plus difficiles en France, en Angleterre, c’est depuis toujours que le droit est une voie royale pour la politique mais aussi la reconnaissance académique ou professionnelle.

​Donc des têtes bien faites, des juges qui ne sont pas comme en France issus d’écoles de la magistrature ou des juges consulaires, mais des juges qui sont d’anciens praticiens. Et surtout il y a cette distinction fondamentale entre barristers et sollicitors. Vous avez les barristers, connus du grand public pour leur perruque, sont des spécialistes et sont généralement les gens qui plaident. Ce sont eux qui gèrent les questions les plus compliquées. Et vous avez ensuite les sollicitors. A noter que les barristers s’appellent entre eux « my dear friend » et qu’ils appellent les sollicitors « my friend », ce qui veut tout dire… Cela dit, je suis toujours impressionné par leur travail. On leur envoie des caisses de documents le samedi et le lundi ils sont en train de plaider. Les sollicitors, eux, sont des praticiens.

​ Un petit mot sur l’arrogance du juriste anglais. Les anglais sont connus pour leur courtoisie, à ne jamais clamer leur supériorité quand bien même ils n’en pensent pas moins, alors que les français sont connus pour être arrogants, contents d’eux, pour penser tout savoir et pouvoir parler de tout. Reste que les anglais ont une très grande fierté nationaliste quant à leur tradition juridique.

Le droit communautaire était bien connu des anglais. Je ne peux vous dire ce que va donner le Brexit mais c’est un peu dommage au vu de cette très bonne connaissance du droit communautaire par les anglais.

Je ne vais pas vous abreuver d’éléments techniques, mais parlons tout de même du principe de discovery : chaque partie droit communiquer l’intégralité des pièces, ce qui rend le procès plus lourd et plus compliqué, mais quand on explique aux anglais que, finalement, en France, on ne communique que les pièces qui sont pour nous les bonnes pièces, ils nous traitent de sauvages, ils ne comprennent pas ! Il en va de même pour les américains. Pour eux, c’est jouer sans mettre toutes cartes sur table, ce n’est pas naturel. C’est aussi parce que leur rapport à la vérité est très différent du notre. Sur les cross-examinations et les examinations je n’insiste pas. En réalité, on a affaire à une justice sensiblement de même longueur en terme de durée que pour les français, mais probablement plus coûteuse. On dit que les anglais sont conservateurs, là encore, c’est vrai, mais seulement dans une certaine mesure. L’épisode du White Book, qui reprenait de nombreuses règles de droit et qui faisait des milliers de page, dont quelqu’un avait même pu dire « The whole book is a joke », a été réduit en seulement 2 ans à des règles beaucoup plus simples et beaucoup moins nombreuses. En comparaison, en France, nos grands rapports sur la modernisation de la Justice, la démocratie du droit, les innovations technologiques ne vont pas au fond des choses pour les changer véritablement, ce qui s’explique aussi par un manque de moyens.

​Autre grande différence, dans le système anglo-saxon, la partie perdante paie l’intégralité des frais judiciaires de la partie gagnante et cela change tout le contentieux ! Quand on perd, ça vous coûte et cela fait beaucoup de transactions. D’où des déclarations générales sur la manière dont on reçoit les contentieux. Contrairement aux français, les anglais adoptent ainsi un principe de proportionnalité : on va examiner et dédier du temps de la magistrature en fonction de la complexité, de l’égalité des parties… Il y a une forme de management de la justice. Cela évite de perdre trop de temps et de moyens sur des contentieux qui n’ont pas de sens.

Pour ce qui est de la Réforme du droit des obligations entrée en vigueur le 1er octobre 2016, un rapport de la même année de la Présidence de la République vante cette réforme en parlant d’un droit français à l’aune de la mondialisation. C’est vraiment de la propagande. Et cela me met en colère. En effet, il y a des choses importantes mais surtout beaucoup d’insécurité juridique. En réalité, ce nouveau droit français n’est pas si nouveau et créée des problèmes et des incertitudes et de vrais débats à l’international. Cet alignement me chagrine un peu même quand cela part de bons sentiments.

Enfin, dernier commentaire, sur la question du langage. J’ai coutume de dire à mes collègues de toujours faire attention à la politesse. Les anglais ne sont pas aussi directs que les français. De façon un peu brutale, on pourrait dire qu’ils sont hypocrites. Disons qu’ils sont plus diplomates que les américains. Et ainsi, quand un anglais vous dire « Are You sure ? » cela signifie « Tu as dit une énorme bêtise. » et « that’s a good idea » veut en fait dire « cause toujours » ou « I don’t quite agree » qui veut en fait dire « I truely disagree »… Cette question de communication est très importante, cela créée beaucoup d’incompréhensions et de difficultés chez nous les juristes quand on négocie des contrats et qu’on analyse des contentieux, car on est dans la terreur de ne pas être compris.

Malgré la rivalité historique d’avec le droit anglais, nous avons besoin d’eux. Nous avons beaucoup à apprendre d’eux, comme de nos collègues russes.

​***

Maître Catherine Joffroy – Du fait de votre intervention très enrichissante, je vais m’éloigner très largement de ce que j’avais prévu.

Première remarque qui me vient directement de ce que vous avez dit, c’est que le droit russe est un droit continental. En tant que français, on est très à l’aise avec le droit russe puisqu’on va retrouver toutes les grandes notions et les grands concepts que l’on connaît. Cela dit, on a peu de recul sur le droit russe, qui est encore très jeune et en cours de construction, avec un code civil entré en vigueur en 1994. Ainsi, nous avons un intérêt, nous français, c’est d’être à l’aise avec le droit russe : il n’y a pas ce système de précédents, le code civil regroupe tout ce que l’on retrouve dans nos différents codes. Et depuis quelques années, on constate aussi une volonté de rapprocher le droit russe du droit de l’Union Européenne. Depuis la plus grande réforme du code civil russe qui a commencé en 2008, le droit russe s’est encore plus calqué sur les grands principes de droit de la communauté européenne. Autre chose très intéressante, la récente réforme du droit des obligations (2016), dont l’ampleur réformatrice n’avait jamais été constatée à un tel niveau depuis 1804 avec le Code Napoléon. Pourquoi ce parallèle ? Parce que les réformes du code civil russe entamées en 2008 et qui se poursuivent encore aujourd’hui ont également eu des résultats que nous, juristes français, retrouvons dans notre réforme du droit des obligations. Sans entrer dans les détails, il serait intéressant de traiter des similitudes entre droit français et droit russe mais aussi d’évoquer ces aspects du droit que nous, juristes français avec notre droit millénaire, nous découvrons seulement à l’aune du droit russe. On retrouve ainsi non seulement des grands principes mais aussi des grandes notions.

Comme en droit français, les relations en droit russe sont régies par le principe de bonne foi. On remarque aussi, depuis la réforme, le devoir d’information précontractuelle avec l’ordonnance de 2016 qui existait déjà en droit russe. Nouvelle notion que nous découvrons en droit français, au moins en ce qui concerne, nous les privatistes, c’est l’imprévision, grand principe récent en droit français et qui existe en droit russe depuis 1994. Toutes ces notions permettent de pointer du doigt le fait que malgré notre longévité, nous sommes peut-être en retard ou en tout cas, les russes ont compris qu’il était important, au moins économiquement, de s’aligner de plus en plus et d’avancer vers une harmonisation la plus optimale possible avec le droit français et plus largement le droit de l’UE.

Cette première réflexion m’amène à une conclusion simple qui est la suivante : bien souvent dans les relations internationales, on peut remarquer que malgré les grandes similitudes entre nos droits, les sociétés françaises rechignent à accepter l’application du droit russe à leurs contrats en étant pleine de préjugés et surtout en faisant preuve de beaucoup d’ignorance. Pour autant, le droit russe doit obligatoirement être appliqué (comme pour le droit immobilier par exemple). Ainsi, on s’éloigne du droit continental par ignorance et par peur mal fondées. En effet, selon le type de contrat que l’on peut être amené à conclure, il peut être plus intéressant, selon que l’on se trouve d’un côté ou de l’autre, de faire application du droit français ou du droit russe. Il est donc important de sensibiliser, dans la mesure du possible, les rédacteurs des contrats pour qu’ils se renseignent un minimum en amont et n’optent pas pour ce que je considère comme une solution de facilité, à savoir le droit anglais.

Sur la partie judiciaire, que je n’avais pas prévu d’aborder, il me vient tout de même quelques remarques, notamment sur la réelle importance de bien pouvoir se renseigner. Je rebondirai ainsi sur le parallèle avec l’Union Européenne, avec cette idée selon laquelle, en acceptant une subordination à l’UE, la France aurait perdu une part de sa souveraineté.

Vous le savez peut-être, la Russie essaie depuis de très longues années de mettre en place un accord bilatéral de reconnaissance de l’exécution des jugements rendus par des tribunaux russes ou français. Mais du fait de la cession d’une part de notre souveraineté à l’Union Européenne, nous ne pouvons pas négocier de façon bilatérale avec la Russie, notamment sur ces sujets-là, quand bien même français et russes y sont très favorables. Il faudrait que ce soit au niveau de l’UE, ce qui ne serait pas sans poser problème du fait notamment des pays de l’ex URSS. C’est à ce point intéressant au regard de l’article 409.1 du Code de Procédure Civile russe :

« Les décisions des tribunaux étrangers, y compris celles confirmant des accords amiables,
sont reconnues et exécutées dans la Fédération de Russie, si cela est prévu par un traité
international de la Fédération de Russie. »
Article 409.1 du Code de Procédure Civile russe


Mais en quoi est-ce réellement problématique, voire catastrophique ? Tout simplement parce que ce principe n’existe pas dans le Code Civil français. Il n’existe qu’une jurisprudence qui permet à tout jugement rendu en Russie d’être reconnu et exécuté en France contre une société française. Généralement, le tribunal va reconnaître l’exequatur. Mais l’inverse n’est pas vrai. Nous ne pouvons pas, en raison de cet article du Code de Procédure Civile Russe, parce que nous n’avons pas de convention internationale sur ce sujet-là, faire reconnaître nos propres décisions de justice et les faire exécuter.

Sur ce qui est notions et ce que nous découvrons avec la Réforme de 2016 du droit des obligations en France, l’existence aussi des lanceurs d’alerte, qu’on découvre aujourd’hui et qui existaient déjà en droit russe. Egalement, la protection des données personnelles, sujet un peu à part car il est vrai qu’au-delà de la protection existante, vous avez peut-être entendu, chose qui n’est pas propre à la Russie, qu’il y a désormais l’obligation de mettre à disposition les serveurs des sociétés étrangères dans la Fédération de Russie. C’est assez contraignant et vous pouvez imaginer que beaucoup de sociétés y rechignent quand bien même elles sont dans l’obligation de s’y plier.

Plus largement, donnons une approche sur ce que la Russie essaie de faire en miroir avec ce que nous nous faisons dans le cadre de l’UE (circulation des personnes…). Vous n’êtes pas sans savoir que s’est créée une Union Economique Eurasiatique qui regroupe un grand nombre de pays de l’ex-URSS (mais sans l’Ukraine). Au 1er juillet de cette année entrera en vigueur le Code Douanier de cette Union Eurasiatique. L’idée est de recréer dans l’ex-URSS réduite un marché commun avec des codes, comme nous en avons au niveau de l’UE. On note donc beaucoup de parallèles entre ce que les russes font depuis très peu de temps et le droit européen et français. Ce n’est pas toujours connu et cette proximité nous aide beaucoup et nous permet de ne pas être effrayé par l’application du droit russe qui peut dans certains cas être plus favorable aux sociétés françaises.

Alors que la guerre froide est officiellement terminée depuis plus de 25 ans, les rivalités entre les pays anglo-saxons et la Russie apparaissent désormais sous d’autres formes. En effet, dans ces sociétés occidentales où toute idée de guerre conventionnelle a été justement écartée, il apparait pourtant que certains Etats-Nations n’aient pas souhaité abandonner leur volonté de puissance et d’expansion et aient ainsi transféré le conflit vers la sphère économique.

Heure

(Jeudi) 18h00 - 20h00

Lieu

Bibliothèque de l'Ordre des Avocats

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